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HISTOIRE SOCIALISTE

gardes-bourgeoises s’affilient à la garde bourgeoise parisienne et des adresses fraternelles sont envoyées de toute part à la municipalité de Paris. Il n’est pas étonnant qu’un an après la fête de la fédération soit fixée au 14 juillet. Car c’est bien le 14 juillet 1789 qu’est née vraiment la fédération des communes de France : un même instinct avertit à la même heure tous les groupements de citoyens, toutes les cités, que la liberté serait précaire et débile tant qu’elle ne reposerait qu’en l’Assemblée nationale, et qu’il fallait lui donner autant de foyers qu’il y avait de communes. Ainsi mêlée, pour ainsi dire, à la vie familière des citoyens, ainsi animée et renouvelée sur place par des énergies sans nombre, la Révolution serait invincible.

Mais toutes ces énergies municipales spontanées, multiples avaient pour centre politique l’Assemblée, pour foyer dominant Paris, pour centre idéal la Révolution. Elles étaient naturellement et nécessairement fédérées. Grandes journées où, dans l’ardeur même du combat, une idée claire et décisive s’affirmait ! Les fulgurations de l’orage semblaient se fondre dans la lumière splendide d’un jour d’été.

En suscitant la vie municipale, la journée du 14 juillet rapprochait un peu du premier plan de l’action le prolétariat encore relégué dans un arrière fond obscur. Certes, les ouvriers, les pauvres sont bien loin encore de mettre la main sur le pouvoir municipal. Ils seront exclus, comme nous le verrons bientôt, de la garde bourgeoise et ils ne siégeront pas aux assemblées des districts : la vie municipale parisienne sera même marquée pour un assez long temps d’un caractère plus étroitement bourgeois que l’action centrale de l’Assemblée. Mais il était impossible d’organiser, à Paris, le pouvoir légal de soixante districts d’abord, de quarante-huit sections ensuite, sans que bientôt un certain nombre de ces districts ou de ces sections vibrent de toute la force et de toute la passion populaires. Tandis que la voix de Robespierre était à demi étouffée et comme opprimée à l’Assemblée nationale, la voix de Danton retentissait au district des Cordeliers. Multiplier, si je puis dire, les points de pouvoir, c’est multiplier les points de contact du pouvoir même avec le peuple : c’est donc malgré toutes les barrières légales du cens, accroître les chances et les occasions d’intervention populaire et incliner la Révolution bourgeoise non pas vers le socialisme dont l’idée même est à naître, mais vers la démocratie. S’il y avait morcellement et émiettement complet, si chaque commune était un petit monde clos, l’oligarchie bourgeoise finirait par mettre la main sur tous ces mécanismes séparés et de médiocre vigueur.

Mais quand cette multiplicité des activités focales se combine avec un grand mouvement général qui passionne si l’on peut dire tous les rouages, la continuité et la véhémence de l’action donnent peu à peu le pouvoir aux plus ardents, aux plus agissants et aux plus robustes. Voilà comment la journée