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HISTOIRE SOCIALISTE

bution destinée à cette partie du service public qui concerne les ministres des autels : c’est le subside avec lequel la Nation salarie les officiers de morale et d’instruction. »

Pendant que se poursuivaient les débats, le clergé, sentant l’inutilité d’une résistance qui le rendrait odieux aux peuples sans lui conserver les dîmes, décida brusquement d’en faire le sacrifice. Très probablement aussi les curés, irrités de la répartition injuste des dîmes qui allaient enrichir les gros bénéficiaires des abbayes, et espérant que la rémunération nationale directe serait plus équitable, obligèrent le haut clergé à cette démarche.

Dans la séance du 11 août, l’archevêque de Paris et le Cardinal de la Rochefoucauld, au nom du clergé de France, firent solennellement abandon des dîmes sans indemnité, et l’article, qui les abolissait sans rachat, fut adopté à l’unanimité. Ainsi la force interne de la Révolution désagrégeait les résistances. La grande Assemblée bourgeoise, si secouée peu de jours avant par la tourmente des paysans soulevés, pouvait, à ce moment précis, se féliciter de son œuvre.

Elle apportait aux paysans, par l’abolition de la dîme, un grand bienfait : elle l’attachait ainsi, étroitement, à la Révolution et, en effet, trois ans plus tard, quand les ennemis pénétreront en France et demanderont aux paysans : « Pourquoi donc aimez-vous les révolutionnaires ? » la première réponse sera : « Ils ont aboli la dîme. »

L’Assemblée espérait aussi que, grâce à l’autorité morale de ce grand bienfait, elle pourrait plus aisément maintenir l’ordre dans les campagnes. Dans l’ordre féodal, elle avait été beaucoup moins hardie et beaucoup moins logique. Elle avait maintenu en fait les jouissances foncières des nobles tout en abolissant juridiquement la féodalité.

La force de la Révolution fera bientôt éclater ce système équivoque : mais, peut-être, convient-il de se féliciter qu’en dissociant la propriété ecclésiastique et la propriété féodale, l’Assemblée bourgeoise ait un moment divisé les forces ennemies.

En ménageant d’abord la noblesse et en isolant le clergé, elle finit par obtenir, pour l’abolition pure et simple des dîmes, un vote unanime qui donnait à cette grande mesure d’expropriation révolutionnaire, une force morale incomparable et je ne sais quoi de définitif. Bientôt nous verrons l’Assemblée se débattre dans les difficultés inextricables de son système de rachat pour les droits féodaux. Bientôt nous entendrons à nouveau le grondement de colère des paysans déçus : mais, malgré tout, les journées des 4 et 11 août avaient, tout ensemble, hâté et affermi la marche de la Révolution.

L’Assemblée nationale, ayant ainsi commencé le règlement de ses comptes avec les paysans, peut reprendre la grande discussion des droits de l’homme et des premiers articles fondamentaux de la Constitution. J’ai