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HISTOIRE SOCIALISTE

Palais-Royal, sans armes, et la suite de la députation. Déjà l’on savait dans Paris qu’au Palais-Royal on délibérait en tumulte ; les chefs militaires (de la garde nationale), qui venaient de jurer à la nation qu’elle serait libre, s’alarment en voyant des amis de la liberté voler pour la défendre ; ils donnent des ordres ; des grenadiers se portent sur le passage de ces braves citoyens ; ils les arrêtent, et comme ceux-ci sont sans ordres et sans existence légale, il faut si la patrie est en danger, qu’elle périsse tranquillement, plutôt que de la sauver contre les règles de la légalité.

« Remarquez que lorsque ces citoyens furent arrêtés, à peine ils étaient cinquante ; néanmoins on traîne des canons ; tous les postes sont aux armes ; l’alarme est dans Paris, des courriers la portent à Versailles, l’effroi s’y répand ; l’on se met dans la défense… Les Parisiens ont quinze mille hommes… l’on est perdu…

« Non, Broglie et son armée d’assassins eussent produit moins de troubles et de crainte que l’action de ces citoyens ! Il faut qu’il y ait encore parmi nous beaucoup de lâches esclaves et de mauvais citoyens puisque le cri de la liberté et les démarches du patriotisme jettent une épouvante plus terrible que les détestables attentats du despotisme.

« Cependant le marquis de Saint-Huruge et ses sept à huit députés étaient de retour au café de Foi ; ses commettants dès lors l’envoyèrent à l’Hôtel-de-Ville pour demander aux représentants de la Commune la liberté de passer. Mais ces députés n’étaient pas députés d’un district ; donc ils n’avaient point d’existence légale, et ils restent à la porte de la salle des communes sans parvenir à être introduits.

« Les patriotes du café s’impatientent ; on propose une seconde députation, l’on allègue qu’elle ne sera pas reçue ; qu’il faut se rendre dans les districts, les assemblées. Mais les longueurs, l’incertitude… Enfin on nomme une seconde députation de cinq personnes, toutes domiciliées et citoyennes ; le conducteur était un médecin, capitaine commandant de la garde parisienne.

« On arrive à l’Hôtel-de-Ville ; après quelques difficultés, on est enfin, et par une faveur spéciale, introduit ; la députation présente à M. le Maire, à M. le général et à MM. de la Commune les craintes, les sollicitudes des citoyens réunis au Palais-Royal ; elle insiste sur l’appréhension de ce veto absolu ; elle demande un caractère légal, afin de pouvoir présenter ses doléances à l’Assemblée nationale ; elle demande au moins une autorisation ; on lui refuse tout ; on consent seulement à ce que, comme de simples particuliers, sans mission, ils puissent, de ce chef, présenter un mémoire. »

Ainsi, quelques semaines après la grande action du 14 juillet, le parti de la Révolution commence à se diviser. Il y a d’un côté le modérantisme bourgeois, représenté par l’assemblée de la Commune et la plupart des officiers de la garde nationale, il y a de l’autre le parti du mouvement qui veut assurer à la Révolution de solides garanties et en développer les conséquences.