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HISTOIRE SOCIALISTE

tier sur trois rangs. Lafayette répondait aux acclamations de l’air d’un homme qui dit : Vous le voulez. Le défilé dura quarante minutes.

Pendant ce temps, le peuple, convaincu que beaucoup d’officiers, ou même de soldats, de la garde nationale, n’avaient point un bon esprit, donnait la chasse à tous les citoyens en uniforme qu’il rencontrait pour les obliger à joindre le corps d’armée en marche. Les tambours sonnent, les étendards flottent : « Allez, marchez, braves citoyens : vous portez avec vous le destin de la France ; nos cœurs vous suivent, secourez notre roi, sauvez nos députés, soutenez la majesté nationale. Quatre cents mille bras sont prêts à vous applaudir, à vous venger. »

Dès le matin, et avant même l’arrivée des femmes, l’Assemblée nationale était extrêmement agitée. À l’ouverture de la séance, Mounier, président, donna lecture de la réponse du Roi au sujet de la Déclaration des droits soumise à son acceptation :

« De nouvelles loi constitutives ne peuvent être bien jugées que dans leur ensemble : tout se tient dans un si grand et si important ouvrage. Cependant, je trouve naturel que, dans un moment où nous invitons la nation à venir au secours de l’État par un acte signalé de confiance et de patriotisme (l’emprunt patriotique) nous la rassurions sur le principal objet de son intérêt.

« Ainsi, dans la confiance que les premiers articles constitutionnels que vous m’avez présentés, unis à la suite de votre travail, rempliront le vœu de mes peuples et amèneront le bonheur et la prospérité du royaume, j’accorde, selon votre désir, mon accession à ces articles ; mais à une condition positive et dont je ne me départirai jamais, c’est que, par le résultat général de vos délibérations, le pouvoir exécutif ait son entier effet entre les mains du monarque. Une suite de faits et d’observations, dont le tableau sera mis sous vos yeux, vous fera connaître que dans l’ordre actuel des choses je ne puis protéger efficacement ni le recouvrement des impositions légales, ni la libre circulation des subsistances, ni la sûreté individuelle des citoyens…

« Je ne m’explique point sur votre déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; elle contient de très bonnes matières propres à guider vos travaux ; mais des principes susceptibles d’application et même d’interprétation différente ne peuvent être justement appréciés et n’ont besoin de l’être qu’au moment où leur véritable sens est fixé par les lois auxquelles ils doivent servir de première base. »

Ainsi le Roi n’acceptait que sous condition les lois constitutionnelles : et au fond, il refusait de sanctionner la Déclaration des droits elle-même, c’est-à-dire, les principes d’où toute la Constitution émanait. Toute la gauche de l’Assemblée se souleva. Muguet de Nanthou s’écria : « Quelle réponse ambiguë et insidieuse vous venez d’entendre ! » Robespierre dit avec force : « La réponse du Roi est destructive non seulement de toute constitution,