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HISTOIRE SOCIALISTE

de la discorde, et en supposant le succès d’une semblable tentative contre mon peuple et moi, le résultat nous priverait, sans remplacement, des divers biens dont un nouvel ordre de choses nous offre la perspective. »

À ces paroles, la gauche éclatait en applaudissements ; le parti des aristocrates gardait le silence, et les modérés eux-mêmes semblaient gênés, se demandant s’ils ne résistaient pas, pour le compte du Roi, au delà de ce que désirait le Roi lui-même.

Mais comme cette impression précise et forte se perdait vite dans un long et filandreux discours où abondaient les sous-entendus ! Le Roi insistait si longtemps sur la nécessité de maintenir les distinctions honorifiques de la noblesse, qu’il paraissait un instant que là était le véritable objet de sa démarche. Surtout, il demande à l’Assemblée de fortifier « le pouvoir exécutif » :

« Je ne dois point le mettre en doute ; en achevant votre ouvrage, vous vous occuperez sûrement avec sagesse et avec candeur de raffermissement du pouvoir exécutif, cette condition sans laquelle il ne saurait exister aucun ordre durable au dedans ni aucune considération au dehors. »

C’est Necker qui avait conseillé au Roi cette démarche et qui avait rédigé le discours. Camille Desmoulins, qui avait été averti tout de suite par le tour de sentimentalité phraseuse du prône royal, écrivait dans le no 12 des Révolutions de France et de Brabant :

« On a souri à l’endroit du discours où le prince dit à l’Assemblée :

« Vous vous occuperez avec candeur de l’affermissement du pouvoir exécutif. » On voit bien que le ministre dont il est si aisé de reconnaître le faire dans ce discours, qui y a mis si habilement sa justification dans la bouche du Roi, a su faire de cette harangue un miroir qui réfléchit sa fastidieuse figure. »

Oui, jusqu’en cette démarche qui pouvait être décisive, le Roi n’avait pas su mettre l’accent d’une pensée personnelle et d’une volonté forte. C’est Necker qui, trop visiblement, le faisait mouvoir et parler. C’est Necker qui, blessé dans sa vanité du rôle prépondérant de l’Assemblée, la rappelait, sous prétexte de pouvoir exécutif, au respect de sa propre influence, à la vénération pour ses plans de finance impuissants, médiocres et manqués. Cet éternel refrain de pouvoir exécutif est bien irritant.

Au fond, la Révolution avait l’instinct et le génie du pouvoir exécutif. Pour transformer l’ordre politique et social, elle avait besoin d’une action concentrée et vigoureuse ; ses communes, à peine constituées, se fédérèrent pour agir d’ensemble et puissamment.

La bourgeoisie révolutionnaire avait doublement besoin d’un pouvoir fort, pour briser d’abord les institutions du passé et ensuite pour contenir la force populaire en mouvement dans les limites de l’ordre bourgeois. À une royauté qui aurait marché franchement avec elle, la Révolution aurait