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HISTOIRE SOCIALISTE

dans ses démarches pressantes qu’une inquiétude d’ambition ou même un calcul de cupidité. Ils le rebutèrent ou le blessèrent ; mais il ne se découragea pas.

Dès qu’il le put, dès que, par l’intermédiaire du comte de La Marck et de l’archevêque de Toulouse, il fut en rapport avec la Cour (sa première note est du 1er juin 1790) il essaie de persuader au Roi, à la Reine, que c’est dans le développement même de la Révolution qu’ils trouveront non seulement le salut, mais la force. Qu’ils la servent sans arrière pensée ; qu’ils y voient leur chose autant que la chose du peuple, et ils auront un pouvoir légal et effectif supérieur à la puissance arbitraire des rois qui se croient absolus. La Révolution, en brisant les privilèges des provinces, des corps, des villes, des ordres, supprime les obstacles sans nombre que l’ancien régime opposait à l’exercice de l’autorité royale : elle aplanit le sol et donne à la royauté la base la plus unie et la plus large, toute la vie homogène d’un grand peuple.

La Nation fera la loi par ses représentants, et le Roi gouvernera selon la loi ; mais l’intérêt de la royauté et l’intérêt de la Nation étant désormais identiques, se conformer à la volonté nationale, en ce qu’elle a d’essentiel et de profond, c’est pour la royauté non une diminution d’autorité mais, au contraire, un accomplissement de puissance.

Que le Roi consente donc avec joie à l’abolition du vieux système féodal, qui le liait autant qu’il asservissait les peuples. Et qu’il n’arrête pas à mi chemin la Révolution : incomplète, elle l’abaissera ; complète, elle le grandira.

Que tous les biens de l’Église soient vendus, et qu’il soit fait une émission d’assignats large, hardie, surabondante, de façon à affranchir à jamais la Révolution et le Roi de toute gêne financière.

Que l’on suscite ainsi tout un peuple nouveau de propriétaires, qui préservera l’ordre nouveau à la fois contre le retour offensif de l’ancien régime et contre l’instabilité démagogique. Que toute la vieille armée soit licenciée.

Par là sera affermie la Révolution, mais restaurée aussi la discipline ; le caractère aristocratique des chefs, leur esprit contre-révolutionnaire provoquent le soulèvement des soldats et en quelque mesure le justifient. Des officiers nouveaux dans une armée nouvelle seront dévoués à la Révolution qui les aura suscités et, forts précisément de leur loyauté révolutionnaire, ils sauront établir bientôt des habitudes de discipline.

Ce n’est donc ni en rétrogradant, ni en hésitant, que le roi sauvera la royauté : c’est en allant dans la voie révolutionnaire aussi vite, aussi loin et plus consciemment que la Révolution elle-même. Voilà ce que Mirabeau avait entrepris de démontrer, de persuader à la Cour. Et il mit à cette entreprise tant de génie, tant d’habileté, de persévérance, de passion, que quand on lit ses admirables notes, on a parfois l’illusion qu’il va réussir. En tout cas, on