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HISTOIRE SOCIALISTE

pensées, toute la combativité du côté droit et de l’Église. Il est vrai qu’un appel aux pauvres, aux prolétaires, aurait pu paraître à l’Église une habile diversion, mais la manœuvre n’était point sans péril. Car si une partie des pauvres, dans les campagnes surtout, pouvait devenir une clientèle politique pour le château et pour la cure, les prolétaires des villes, nombreux déjà et très ardents, auraient accéléré encore la marche de la Révolution, et, malgré ses craintes, le clergé n’en était pas encore, en octobre, à jouer une partie aussi dangereuse et à essayer de moyens aussi désespérés.

D’ailleurs, l’article qui portait à la noblesse et même en général aux classes riches, le plus de dommage, était celui qui refusait le droit de vote à la domesticité. Or, dans l’état des mœurs et des esprits en 1789, la noblesse elle-même n’aurait pu combattre cet article sans trahir trop brutalement sa pensée de mener au scrutin le peuple servile des antichambres. Enfin, Montlosier lui-même ne demanda pas vraiment le suffrage universel. Il dit en résumé :

« Tout citoyen est actif dans l’État, quand il s’agit de s’occuper des droits de tous les citoyens. Le Comité a été embarrassé du grand nombre de votants aux assemblées primaires. Il serait aisé de se débarrasser de cette extrême population en ne considérant comme citoyens que les chefs de famille. La question de l’âge nécessaire pour être admis aux assemblées primaires deviendrait alors inutile, tout homme marié serait reconnu chef de famille, et il serait citoyen, puisqu’il donnerait des hommes à l’État. Ainsi, les célibataires seraient exclus des assemblées primaires… »

Cette combinaison baroque, qui excluait du vote tous les célibataires, ne peut vraiment pas passer pour une première affirmation du suffrage universel. Legrand, le député du Berry, qui avait décidé si opportunément les États Généraux à s’appeler Assemblée nationale, ne fait à propos de cette grande question des citoyens actifs et passifs, qu’une observation bien courte et bien équivoque aussi :

« Le paiement d’une imposition ne doit être exigé dans les assemblées primaires que comme preuve de cité ; la pauvreté est un titre, et quelle que soit l’imposition, elle doit être suffisante pour exercer les droits du citoyen. »

A la bonne heure, et le mot : La pauvreté est un titre, est humain et assez fort. Mais à quoi tend cette remarque ? S’il ne s’agit que de constat et que le citoyen appartient en effet à la cité, la condition de domicile pendant un an est bien suffisante. Et c’est à quoi, le 20 octobre, se réduit la discussion.

Brusquement, Robespierre intervient, non pas pour soulager sa conscience, non pas pour réclamer, au nom du Contrat social, contre un système qui lie des citoyens à une cité dont ils ne sont pas ; mais pour demander au contraire que le débat soit interrompu et que l’on songe à des questions