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HISTOIRE SOCIALISTE

voirs électifs locaux sont rattachés à la vie nationale, coordonnés à l’action centrale du pouvoir.

Il me paraît tout à fait oiseux de discuter d’une manière abstraite la valeur de cette constitution administrative. Les radicaux « autonomistes » la célèbrent, les centralistes « les hommes de gouvernement » la déplorent et prétendent qu’elle a conduit la Révolution à l’anarchie. Mais c’est une étrange erreur de méthode de l’isoler ainsi, pour la juger, des circonstances historiques où elle fut créée et où elle fonctionna.

Pour qu’une pareille organisation pût naître et durer, il fallait trois conditions essentielles. Il fallait d’abord une extrême défiance du législateur à l’égard du pouvoir. Si le roi n’avait pas, dès le début, trahi et combattu la Révolution, si la Constituante n’avait pas considéré qu’il y avait péril mortel à livrer une partie du pouvoir administratif aux délégués du roi et aux protégés de la Cour, peut-être aurait-elle fait une place dans le système administratif, à l’autorité royale.

De même que, par le veto suspensif, elle avait essayé de concilier la souveraineté nationale et le pouvoir du roi, elle aurait imaginé quelque combinaison administrative conciliant le principe de l’élection et la centralité du pouvoir. Elle aurait pu décider, par exemple, que le procureur général syndic serait désigné par le roi sur une liste de candidats présentée par l’assemblée des électeurs, et elle aurait pu accorder à ce procureur général syndic certain droit de veto suspensif. Mais la Cour était l’ennemie ; le pouvoir royal inspirait une défiance plus que justifiée ; la Constituante ne pouvait songer un instant à livrer à la contre-révolution une partie du mécanisme révolutionnaire.

Mais il fallait en second lieu, pour que ce système administratif pût s’établir, que le pouvoir exécutif, encore tenu en défiance, fût assez faible pour se résigner à cet effacement, et c’était justement la condition de Louis XVI après le 14 juillet et les journées d’octobre.

Enfin, il fallait que le pouvoir central, quel qu’il fût, n’eût pas à soutenir une de ces luttes violentes qui exigent une grande concentration de force et une grande unité d’action. Or en 1790 et 1791, il y a une sorte de détente. La contre-révolution organise ses forces, mais elle n’a pas encore affronté ouvertement le combat, et on peut espérer que la Révolution se résoudra en douceur. Au contraire, dès que la lutte est violemment engagée, la Convention est obligée d’établir une terrible centralisation gouvernementale et administrative, et au moyen de députés envoyés en mission, elle rappelle à elle tous les pouvoirs.

Le système administratif de la Constituante témoigne donc à la fois d’une extrême méfiance envers le roi et d’une extrême confiance dans la force d’expansion naturelle et paisible de la Révolution. Il témoigne aussi qu’elle n’avait à l’égard du prolétariat aucune inquiétude de classe. Malgré la précaution du cens électoral et du cens d’éligibilité, la bourgeoisie n’aurait pas