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HISTOIRE SOCIALISTE

je ne sais quoi de chaotique et de discordant, qui usera la force révolutionnaire en de perpétuels conflits.

Il y a de plus dans la marche de la municipalité nouvelle quelque chose de factice et de contraint ; elle est constamment entraînée au delà de sa propre pensée par la force immédiate du peuple toujours en mouvement.

« Ainsi, écrit Maurice Wahl, ce sont les ouvriers en soie qui viennent d’abord demander aux élus de la cité le redressement des vieilles injustices. On se rappelle que le règlement de 1786 avait statué que les façons seraient réglées de gré à gré et à prix débattu, et ce régime avait eu pour conséquence un extrême avilissement des salaires. Les mémoires présentés par les ouvriers en janvier 1789 avaient provoqué un arrêt du conseil, en date du 8 août, ordonnant qu’il serait fait un nouveau tarif par une commission mixte formée de marchands et d’ouvriers.

« Ce tarif avait été dressé, homologué par un arrêt du 10 novembre, mais il n’était pas encore entré en vigueur. Les ouvriers voulaient qu’il fût enfin appliqué ; ils se plaignaient qu’on se prévalût toujours d’un article du règlement de 1744, qui ne leur accordait qu’un délai d’un mois pour introduire leurs réclamations contre les marchands ; enfin, ils demandaient que les maîtres-gardes qui les représentaient dans le bureau de la corporation fussent nommés à l’élection, et non recrutés par cooptation. Ils obtinrent satisfaction sur tous les points.

« Dans une réunion tenue à Saint-Jean, ils décidèrent les maîtres-gardes en exercice à démissionner et les remplacèrent par des gardes élus ; la municipalité sanctionna ce changement, mais en mettant pour condition que les maîtres marchands auraient le droit de se faire représenter de la même manière dans le bureau commun de la corporation. Une ordonnance du corps municipal prescrivit l’exécution du tarif et en fit remonter les premiers effets au 21 janvier 1790, date de l’enregistrement de l’arrêt d’homologation.

« Le conseil général de la Commune, après avoir entendu un exposé du procureur de la Commune, Dupuis, confirma cette décision, déclara que toutes décisions contraires au tarif seraient considérées comme abusives et entachées de nullité, et fixa à six mois le délai de prescription, sans toutefois qu’on pût faire courir le délai pendant le temps que le maître-ouvrier travaillerait pour le même marchand ; car, disait Dupuis « l’ouvrier est véritablement dans la dépendance du marchand, et il a lieu de craindre d’être privé d’ouvrage et, par conséquent, de tout moyen de subsistance, s’il demandait d’être payé conformément au tarif. »

« Une députation des maîtres-ouvriers vint exprimer à la municipalité les sentiments de gratitude dont ils étaient pénétrés, et déposer entre ses mains une somme de 150 livres, qu’ils la priaient d’offrir de leur part, comme don patriotique, à l’Assemblée nationale. Le maire leur répondit en