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HISTOIRE SOCIALISTE

celles 252 arpents, y compris une ferme de 147 ; Théodore Maupin, architecte, acquit en 28 parcelles 369 arpents, y compris une ferme de 189.

Ainsi le plus souvent, au moins dans cette région, il ne servait à rien aux paysans que les lots fussent très morcelés. Telle était la puissance d’achat de la bourgeoisie qu’elle reconstituait les grands domaines qu’on ne livrait que subdivisés à l’adjudication. Dans tout le département de Seine-et-Oise, les paysans sont brutalement écartés. Mais il faut se souvenir qu’une grande partie de la richesse bourgeoise était accumulée à Paris, et c’est évidemment dans la banlieue de Paris que la bourgeoisie achète le plus.

Il résulte des études de Loutchisky, que dans l’Aisne et particulièrement dans le Laonnais, la bourgeoisie acquit de 40 à 45 pour 100 de la terre mise en vente ; le reste se partagea entre les cultivateurs proprement dits et cette petite bourgeoisie ou « artisanerie » de village, qui a une fonction sociale assez mêlée ; le cordonnier, le tailleur sont en même temps propriétaires d’un champ qu’ils cultivent de leurs mains après avoir coupé le drap ou le cuir. Loutchisky a étudié avec soin les associations d’acheteurs formées par les paysans en vue d’acquérir des domaines qu’un seul d’entre eux n’aurait pu acheter. Il en relève un assez grand nombre dans le nord de la France, dans le Pas-de-Calais, la Somme, particulièrement dans l’Aisne. Elles étaient composées de laboureurs, de manouvriers, d’artisans. Elles comptaient 20, 30, 40, parfois 60 et 100 membres, tout un village s’associait pour ne pas laisser échapper une belle terre longtemps admirée par tous, et qu’un bourgeois de la ville aurait achetée sans cette coalition paysanne.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, il n’y a pas là une ébauche de communisme, une association en vue d’exploiter le domaine ; les acquéreurs le morcelaient ensuite et le répartissaient suivant les ressources de chacun d’eux, et plus d’une fois, les plus habiles, les plus aisés acquirent peu à peu la majeure partie du domaine. Et qu’on n’exagère pas non plus la part de propriété où les paysans purent parvenir ainsi, ces achats par association ne paraissent représenter qu’une très faible partie des opérations sur les biens nationaux.

Dans l’ouest aussi, comme le marque le livre de Legeay, c’est la bourgeoisie des villes qui eut la plus grande part ; les achats faits par les bourgeois du Mans notamment, sont considérables.

M. Guillemaut, pour le Louhanais, n’indique pas la proportion des achats faits par les bourgeois et par les cultivateurs ; il est évident, par l’énumération qu’il fait, que beaucoup de bourgeois de campagne et aussi beaucoup de laboureurs, c’est-à-dire de propriétaires de terres à blé, se portèrent acquéreurs de biens nationaux. Il me paraît très probable que la part des cultivateurs est d’autant plus grande en chaque région que la ville qui en est le centre a une activité moindre ; la concurrence immédiate de la bourgeoisie s’exerçait moins. La proportion des achats faits par les bourgeois en Seine-et-Oise, dans le voisinage de Versailles et de Paris est si forte que je ne donnerais pas