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HISTOIRE SOCIALISTE

succès apparents et précaires. Car la Révolution, qui tirait sa force de la propriété industrielle et mobilière, était en outre installée puissamment dans la propriété foncière, c’est-à-dire dans la force traditionnelle de ses propres ennemis.

Grande leçon pour le socialisme ! L’idée communiste a surtout son point d’appui dans le prolétariat aggloméré de la grande industrie, mais elle ne sera décidément victorieuse, et elle ne donnera sa forme à un ordre nouveau que lorsqu’elle aura trouvé, par des adaptations et des combinaisons variées ou par des conquêtes hardies, le moyen de pénétrer dans le monde de l’individualisme paysan, il faut que le socialisme sache relier les deux pôles, le communisme ouvrier et l’individualisme paysan, comme la bourgeoisie révolutionnaire a su, partant de la propriété mobilière, s’assimiler aussi la propriété foncière.

Au point de vue économique, la vente des biens nationaux donna un élan très vif à la production agricole, un grand essor aux campagnes. Les vastes domaines de l’Église furent démembrés ; par exemple, telle abbaye de la Sarthe avait sous sa dépendance douze corps de ferme, chacun de ces corps de ferme, chacune de ces exploitations rurales est achetée par un acheteur distinct ; dix ou douze gros bourgeois du Mans se répartissent le domaine d’une abbaye. Or, comme chacun de ces bourgeois était riche, comme chacun pouvait consacrer des capitaux à améliorer sa terre et mettait son amour-propre à l’améliorer en effet, un grand afflux d’argent et de travail vint féconder soudain la terre de France.

De même, de quelle ardeur passionnée le paysan remue la terre enfin acquise par lui ! Par cette double action de la bourgeoisie révolutionnaire et du paysan, le progrès agricole s’accéléra et la richesse foncière du pays s’accrut. Les témoignages des contemporains sont décisifs ; je n’en citerai qu’un : lorsque Pache, maire de Paris en 1793, et un moment ministre de la guerre, fut éliminé, quand il revint à son village natal, à Thym-le-Moutier, dans les Ardennes, il ne s’occupa plus que d’agriculture, et, dans un discours prononcé en l’an VII à la Société libre d’agriculture, des arts et du commerce du département de l’Ardenne, il put affirmer « que les neuf dixièmes des citoyens étaient dès lors mieux logés, meublés et nourris qu’en 1789 ».

Et ce ne sont pas seulement les travailleurs des campagnes qui sont ainsi relevés ; pour les innombrables travaux d’aménagement, pour la construction ou la réfection des demeures rurales à l’usage des nouveaux propriétaires, pour la construction des nouveaux immeubles qui, dans les villes se substituaient aux bâtisses cléricales expropriées, la main d’œuvre ouvrière des villes fut extrêmement recherchée. Il y eut un élan de travail, de bien-être et d’espérance dans toute la nation, et par là encore le prolétariat industriel même, quoiqu’il ne reçût aucun avantage direct fut emporté dans le mouvement heureux de la société renouvelée.