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HISTOIRE SOCIALISTE

d’Église au moment même où la Révolution s’efforçait de l’abolir ? et n’était-il pas plus sage de faire passer l’Église par le régime du salariat ?

Ah ! je comprends très bien ce que les premiers ménagements forcés de la Révolution pour l’Église et le Christianisme ont de fâcheux et même de choquant. Puériles et rétrogrades sont les objections et les plaintes du comtisme gémissant que l’Église ait été « asservie à l’État » ; mais bien naturelles sont les impatiences des hauts esprits à la Quinet qui attendent de la Révolution qu’elle prononce contre la grande ennemie la parole décisive.

Tous nous avons hâte que la Révolution puisse dire : Il n’y a rien de commun entre le dogme et moi, et la seule révélation que j’accepte c’est la lumière de la science et de la raison. Nous avons hâte que l’esprit humain puisse affirmer sans réticence sa confiance superbe en lui-même, et son dégoût pour la vieille superstition comme pour les compromis qui la maintiennent.

Nous souffrons que l’esprit philosophique du xviiie siècle soit obligé, à la Constituante, de s’abriter derrière le Christianisme étroit des Jansénistes comme Grégoire et Camus, pour qu’une marque chrétienne authentique imprimée à la Constitution civile par ces hérétiques inconscients, couvre aux yeux du peuple la hardiesse de la combinaison nouvelle.

Il nous en coûte d’entendre Lameth, opposer seulement à dom Gerle que la Révolution aurait dû foudroyer du souvenir des crimes de la religion d’État, de doucereuses équivoques, ou des ironies subtiles que le peuple ne saisissait pas. « Nous avons voulu que les premiers fussent les derniers et que les derniers fussent les premiers ; n’est-ce pas nous qui avons réalisé l’Évangile ? » »

Et ce n’est pas sans une sorte de gêne qu’après avoir lu les lettres du donjon de Vincennes où Mirabeau fait nettement profession de matérialisme et d’athéisme nous entendons le grand tribun justifier la Constitution civile aux yeux des populations effrayées et scandalisées en une sorte d’homélie où tout sonne faux.

Il est vrai qu’à regarder au fond des choses, cette adresse était vraiment la négation du christianisme dont elle prétendait rassurer les fidèles : « Français, on dénonce de toutes parts la constitution civile du clergé décrétée par vos représentants, comme dénaturant l’organisation divine de l’Église chrétienne et ne pouvant subsister avec les principes consacrés par l’antiquité ecclésiastique. »

Ainsi nous n’aurions pu briser les chaînes de notre servitude sans secouer le joug de la foi ?… Non, la liberté est loin de vous prescrire un si impraticable sacrifice. Regardez cette Église de France, dont les fondements s’enlacent et se perdent dans ceux de l’empire lui-même ; voyez comme la liberté qui vient du ciel aussi bien que notre foi, semble montrer en elle la compagne de son éternité et de sa divinité. »

« Voyez comme ces deux filles de la raison souveraine s’unissent pour dé-