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HISTOIRE SOCIALISTE

sans trop de bruit et avec le moindre péril possible les difficiles rapports de l’Église et de la Révolution.

Ils n’abdiquaient pas : ils ne se désintéressaient pas. Ils espéraient que peu à peu l’institution catholique prise dans le cadre de la Révolution, serait pénétrée par l’influence dissolvante de la pensée révolutionnaire. Et lorsqu’ils affectaient de croire qu’il n’y avait pas contradiction entre les principes du christianisme et ceux de la Révolution, pratiquement ils ne trompaient pas le pays, car les nations comme les individus ont la faculté admirable de ne pas ressentir d’emblée la contradiction des principes opposés qu’elles portent parfois en elles.

Il leur faut plusieurs générations et l’épreuve d’événements multiples pour ressentir cette contradiction au point où elle devient intolérable : et grâce à cette puissance d’illogisme de la vie, l’humanité entre dans la sphère d’action d’un principe nouveau sans subir le déchirement immédiat et la douleur d’une répudiation totale et consciente du passé.

Ainsi les Constituants espéraient que la pure raison se dégagerait peu à peu de l’hétéroclite composé de christianisme et de révolution qui en 1789 formait le fond de la conscience nationale. L’essentiel pour eux, à cette heure, (et ils avaient raison) c’est que la marque révolutionnaire fut imprimée à l’organisation de l’Église, que celle-ci ne fut pas traitée comme une institution à part, mais soumise aux mêmes conditions de fonctionnement que toutes les institutions civiles.

Par là l’Église, en même temps qu’elle était expropriée de son domaine, était expropriée de sa primauté spirituelle. Elle était surtout expropriée de son mystère : car comment le peuple aurait-il révéré longtemps comme des interprètes d’une puissance surnaturelle, les hommes qu’il nommait lui-même, qu’il instituait lui-même par son suffrage tout comme un administrateur du département ?

La profondeur du ciel mystique se fermait. Entre le rationalisme vaguement évangélique de la plupart des autorités civiles et le christianisme administratif et vaguement populaire des nouveaux élus, une sorte d’équilibre et de niveau tendait à s’établir… Qu’on lise par exemple les discours prononcés le dimanche 6 février 1791 dans l’église paroissiale métropolitaine, par le Président de l’Assemblée électorale, Pastoret, proclamant curé de Saint-Sulpice le père Poiret, de l’Oratoire : et qu’on lise ensuite la réponse du nouveau curé : on remarquera dans les deux discours une sorte d’unisson qui tient à l’effacement simultané de la raison et de la foi.

« Peuple qui remplissez cette enceinte, dit Pastoret, vous dont l’attitude tranquille et le silence respectueux sont un hommage touchant rendu au culte et à la foi, souvenez-vous que la tolérance est la première des vertus religieuses, comme la première des vertus civiles. La tolérance n’est que la