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HISTOIRE SOCIALISTE

Languedoc, et il se formait ainsi une haute bourgeoisie de grande allure, ayant des ouvertures sur le monde entier.

Ce n’était pas la vie remuante et multicolore de Marseille, où tous les peuples de la Méditerranée se mêlaient sur les quais : Levantins, Grecs, Syriens, Corses, Égyptiens, Marocains. À Bordeaux, c’était surtout la bourgeoisie qui était formée d’éléments cosmopolites, mais elle répandait sur la cité, tous les jours embellie, un large éclat.

C’est surtout l’industrie des constructeurs de navires qui est florissante et qui multiplie les richesses. Elle ne prend tout son essor que sous Louis XV et dans la deuxième moitié du xviiie siècle. Colbert avait bien essayé, dès 1670, d’exciter les négociants bordelais aux constructions navales, mais le mouvement ne se dessina que très lentement.

On lit encore dans un mémoire de 1730 déposé aux archives de la Gironde :

« On construit peu à Bordeaux : la rareté du bois dans cette province et sa cherté engagent les négociants à faire acheter des vaisseaux tout fabriqués dans les ports de France, et surtout en Angleterre et en Hollande, où ils les ont à meilleur marché que s’ils les font construire dans ce port. »

Mais, à partir de 1730, le commerce avec les colonies est si actif que Bordeaux se met largement à construire et fait venir des bois du Nord, de Liège, de Dantzig, de Memet, de Suède.

« En 1754, nous dit M. Jullian, il fut lancé 14 navires construits par Jean Fénélon et Fénélon fils, Bernard Tauzin, Jacques Tauzin, Jacques et Pierre Poitevin, J. Roy, Raymond Tranchard, Pierre Meynard, Ysard et Gélineau fils. Le Colibri avait 70 tonneaux pour Isaac Couturier ; presque tous les autres navires étaient de 200 à 300 tonneaux, sauf un de 600 pour la Compagnie royale d’Espagne. Les armateurs étaient : Philippe Neyrac, Tennet, Bertin, Féger, Lafosse, Guilhou, Doumerc et Rozier, Jaury, Aquard fils, Houalle, Ménoire. Le tonnage total s’élevait à 3 640 tonneaux. »

Je cite tous ces noms de constructeurs et armateurs, car c’est le véritable dénombrement des forces bourgeoises qui feront la Révolution. Il faut que l’on voie jusque dans le détail des noms la croissance de cette bourgeoisie audacieuse et brillante, révolutionnaire et modérée, au nom de laquelle parlera Vergniaud.

En 1756, 16 navires sont construits par Meynard, Roy, Fénélon, Julien, Bideau, Picard, Yzard, Lestonna, Ricaut père, Poitevin, Barthélémy, Foucaut. Ils représentent un total de 3 722 tonneaux et sont livrés aux armateurs Damis, Lafon frères, Langoiran, Gouffreau, Simon Jauge, Decasse frères, Jacques Boyer, Serres et Bizet, Peyronnet, Beylac, Roussens, Fatin, Charretier et Freyche, Laval, et le mouvement se continue ainsi d’année en année, faisant surgir de nouveaux noms d’armateurs et de constructeurs, de nouvelles richesses, de nouvelles puissances et ambitions bourgeoises, et, à