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HISTOIRE SOCIALISTE

haine féroce et insensée. « Il a signé son arrêt de mort », écrit Fersen au nom de la Reine ; et dans son journal, à la date du 12 juin 1791, quelques jours seulement avant le départ du Roi, je note ces lignes étranges : « Dimanche 12. — Le voyage est remis au 29 ; la faute en est à une femme de chambre. Procès de Lafayette, renvoyé à une cour martiale. »

Ainsi, jusque dans la fièvre et l’embarras d’un départ clandestin, on se demandait comment le Roi victorieux pourrait frapper Lafayette : et une cour martiale devait l’exécuter pour trahison. O abîme de folie ! En même temps, pour animer contre la France tous les souverains de l’univers, pour mettre un terme aux divisions des empereurs et des rois par un grand intérêt, on leur persuade que déjà le gouffre infernal de la propagande révolutionnaire est ouvert sous leurs pas dans tous les pays.

Hâtez-vous ! hâtez-vous ! Venez arracher de la terre de France la racine du mal qui ira cheminant et se propageant. O rois, venez vous sauver vous-mêmes en nous sauvant contre la France ! Et pour préparer tranquillement cette agression, pour que la Révolution, confiante et trompée, relâche sa surveillance, le roi n’a plus qu’une politique : mentir ! Mentir à tous, mentir à ses ministres, mentir à l’Assemblée nationale, mentir au pays ; simuler la déférence à la Constitution afin de la mieux détruire.

Ainsi, deux moyens de salut : l’étranger, le mensonge. Voilà à quoi la monarchie de France s’est réduite en méconnaissant les nécessités nouvelles de la vie nationale. Égoïsme et sottise la conduisent tout droit à la trahison.

Cette politique de dissimulation et de ruse, le roi la pratiquait depuis la fête de la Fédération : la Constitution civile du clergé lui paraissait une impiété et lui-même s’obstina à ne recourir jamais qu’à des prêtres insermentés : mais il se garda bien d’entrer franchement en lutte avec l’Assemblée, et, il donna même, en décembre 1790, la sanction ou décret qui obligeait les fonctionnaires ecclésiastiques au serment.

Il écrit à l’Assemblée, le 27 décembre, avec le contre-seing de Duport-Dutertre, une lettre très patriote et doucereuse : « Je viens d’accepter le décret du 27 novembre dernier ; en déférant au vœu de l’Assemblée nationale je suis bien aise de m’expliquer sur les motifs qui m’avaient déterminé à retarder cette acceptation et sur ceux qui me déterminent à la donner en ce moment. Je vais le faire ouvertement, franchement, comme il convient à mon caractère ; ce genre de communication entre l’Assemblée nationale et moi, doit resserrer les liens de cette confiance mutuelle si nécessaire au bonheur de la France. »

« J’ai fait plusieurs fois connaître à l’Assemblée nationale, la disposition invariable où je suis d’appuyer par tous les moyens qui sont en moi, la Constitution que j’ai acceptée et juré de maintenir.

« Si j’ai tardé à prononcer l’acceptation sur ce décret, c’est qu’il était dans mon cœur de désirer que les moyens de sévérité puissent être prévenus