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HISTOIRE SOCIALISTE

dières, etc. Quelques navires passaient à Madère où ils prenaient des vins : d’autres partaient avec un chargement de sel pour aller au Cap-Vert à la pêche des tortues, qu’ils revendaient dans les colonies pour la nourriture des nègres. Les retours se faisaient en denrées coloniales dont une grande partie était reprise à Nantes par des navires hollandais pour le Nord de l’Europe, excepté les sucres bruts qu’il était défendu d’exporter.

Le commerce de Terre-Neuve et du Grand-Banc occupait 30 navires faisant chacun deux voyages, ils partaient avec du sel et leurs provisions. Quelques retours se faisaient par l’Espagne et le Portugal qui les débarrassaient d’une partie de leurs cargaisons pour prendre les denrées du pays. Outre les navires nantais, 60 bâtiments de La Rochelle et d’Oléron apportaient dans notre port le produit de leur pêche : toute cette morue remontait la Loire pour se débiter à Paris, dans le Lyonnais et dans l’Auvergne. »

De bonne heure la bourgeoisie commerciale de Nantes était arrivée à une sorte d’organisation de classe. Dès 1648 elle avait bâti une Bourse du Commerce. Dès 1670 elle s’était donnée sous le nom de Chambre de Direction une Chambre de Commerce composée de six membres dont cinq choisis parmi les commerçants de Nantes et un résidant à Paris. Dès 1646, les bourgeois nantais avaient fondé une vaste Société de Commerce et de Navigation, avec un nombre d’actionnaires illimité, et en 1672, ils prenaient de nombreuses actions dans la Compagnie des Indes, créée par Colbert. Sous la Régence, ils s’intéressèrent aux opérations de Law et ils surent s’y conduire avec adresse, puisque, dès le lendemain de la chute du système, ils appliquent à la reconstruction et à l’embellissement de Nantes les vastes capitaux disponibles. Enfin, dans la deuxième moitié du xviiie siècle, il se produit à Nantes et dans toute la Bretagne une belle poussée d’activité commerciale et industrielle. C’est en 1758 que M. Louis Langevin établit à Nantes la première manufacture d’indiennes ; la fabrication de l’eau-de-vie et de la bière, commencée au xviie siècle se développe ; l’odieux trafic des nègres donne à la bourgeoisie nantaise fière et active, mais rude et âpre, des bénéfices croissants.

Une Société s’était constituée pour approvisionner de nègres nos colonies ; elle n’eut pas les fonds suffisants et les commerçants nantais se substituèrent à elle et firent le trafic en son nom en lui payant 15 et 20 pour 100 de dédommagement. Tant ce commerce détestable était lucratif ! Quelle triste ironie dans l’histoire humaine ! Les fortunes créées à Bordeaux, à Nantes par le commerce des esclaves ont donné à la bourgeoisie cet orgueil qui a besoin de la liberté et contribué à l’émancipation générale. En 1666. il fut expédié à la côte de Guinée 108 navires pouvant prendre à bord 37.430 esclaves du prix de 1000 livres et même au delà, ce qui représentait, en marchandise humaine une valeur de plus de 37 millions.

L’industrie s’anime : la fabrique de M. Langevin, à peine créée depuis