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HISTOIRE SOCIALISTE

par la foule de ces députés réfractaires qui ont fait d’avance leur protestation contre toute espèce de constitution ; mais, Messieurs, représentants d’un peuple généreux et confiant, rappelez-vous que les deux cent trente protestants (les députés de la droite qui avaient déclaré, après l’arrestation du roi, qu’ils ne prendraient plus part aux délibérations) n’avaient plus de voix à l’Assemblée nationale ; que le décret est donc nul et dans la forme et dans le fond ; nul au fond, parce qu’il est contraire au vœu du souverain ; nul en la forme, parce qu’il est porté par deux cent quatre-vingt-dix individus sans qualité.

« Ces considérations, toutes en vue du bien général, le désir impérieux d’éviter l’anarchie à laquelle nous exposerait le défaut d’harmonie entre les représentants et les représentés, tout nous fait la loi de vous demander, au nom de la France entière, de revenir sur ce décret, de prendre en considération que le délit de Louis XVI est prouvé, que le roi a abdiqué, de recevoir son abdication et de convoquer un nouveau pouvoir constituant pour procéder d’une manière vraiment nationale au jugement du coupable et surtout au remplacement et à l’organisation d’un nouveau pouvoir exécutif. »

Pour la première fois depuis la journée d’octobre 1789, la partie la plus ardente du peuple s’élève contre une décision de l’Assemblée. En octobre, au moment où l’on craignait que l’Assemblée donnât au roi le veto absolu, les démocrates aussi disaient que sa décision serait nulle, parce que les représentants de la noblesse et du clergé, qui formaient la moitié de l’Assemblée, n’avaient pas le droit de décider au nom de la Nation. Cette fois, c’est parce que les députés de la droite, après avoir annoncé qu’ils ne voteraient plus, avaient cependant pris part au scrutin sur l’inviolabilité du roi, que les juristes de la démocratie contestaient la validité du vote.

Pendant que la pétition se couvrait de signatures, sans désordre d’ailleurs et sans cris, la municipalité, réunie à l’Hôtel-de-Ville, était dans le plus grand émoi. Le matin, sous l’autel de la Patrie, deux hommes avaient été trouvés : ils s’étaient cachés là probablement avec une pensée égrillarde, dans l’espoir que des femmes monteraient aux marches de l’autel. Découverts, ils furent tués par le peuple, qui les soupçonna d’avoir voulu pratiquer une mine sous l’autel de la Patrie. La nouvelle de ce meurtre parvint, enflée et déformée, jusqu’à la mairie. Le sang coule ! L’émeute est maîtresse du Gros-Caillou ! La municipalité proclama la loi martiale. Le drapeau rouge, drapeau de la répression bourgeoise, fut arboré aux fenêtres de l’Hôtel-de-Ville. Le maire et La Fayette, en tête de bataillons de gardes nationaux, se mirent en marche vers le Champ-de-Mars. Ils y arrivèrent tard, vers sept heures et demie ou huit heures moins un quart, presque à la tombée du jour. La foule était nombreuse, mais calme. À l’arrivée des gardes nationaux, l’émoi, la colère aussi s’emparent du peuple. Des cris hostiles sont poussés.