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HISTOIRE SOCIALISTE

des preuves éclatantes de leur attachement à la Constitution et à la loi, et ont continué de justifier la haute estime et la reconnaissance de la Nation par leur zèle, leur modération et leur fidélité. » (Vifs applaudissements.)

Robespierre même n’osa pas formuler une réserve, lui qui, plus tard, parlera avec tant de violence du sang qui couvrait La Fayette. Les Jacobins, qui avaient toujours adopté comme règle absolue de ne jamais laisser mettre en discussion un décret de l’Assemblée, ne se pardonnaient pas à eux-mêmes leur attitude incertaine et assez médiocre de ces derniers jours. Ils s’étaient laissé pénétrer et déborder par les Cordeliers. Et ils n’avaient eu le courage ni de les désavouer à temps, ni de les suivre. Maintenant, les éléments modérés les abandonnaient en masse pour aller constituer un club de modérantisme, le Club des Feuillants. Les sociétés de province, affolées, menaçaient d’abandonner la Société mère. Les Jacobins envoyaient des circulaires très humbles où ils assuraient qu’ils s’étaient pour rien dans la pétition du Champ-de-Mars. Non, vraiment, l’heure de la République n’était pas encore venue, puisqu’ici, sous la menace de la bourgeoisie révolutionnaire modérée, les bourgeois démocrates baissaient ainsi la tête. Par leur silence accablé, ils permettaient qu’en leur nom on glorifiât les meurtres du Champ-de-Mars.

Dans la même séance du 18, et aussitôt après le rapport de Bailly, l’Assemblée, comme si la loi martiale appliquée la veille ne suffisait pas, vota une nouvelle loi répressive :

« L’Assemblée nationale, après avoir ouï le Comité de conciliation et de jurisprudence criminelle, décrète ce qui suit :

« Article premier. — Toutes personnes qui auront provoqué formellement le meurtre, le pillage, l’incendie ou la désobéissance à la loi, soit par des placards ou affiches, soit par des écrits publics ou colportés, soit par des discours tenus dans des lieux ou assemblées publics, seront regardées comme séditieuses ou perturbatrices de la paix publique, et, en conséquence, les officiers de police seront tenus de les faire arrêter sur-le-champ et de les remettre au tribunal pour être jugées suivant la loi.

« Article 2. — Tout homme qui, dans un attroupement ou émeute, aura fait entendre un cri de provocation au meurtre, sera puni de trois ans de chaîne, si le meurtre ne s’en est pas suivi, et comme complice du meurtre, s’il a eu lieu. Tout citoyen présent est tenu de s’employer ou de prêter main-forte pour l’arrêter.

« Article 3. — Tout cri contre la garde nationale tendant à lui faire baisser ou déposer les armes est un cri de sédition et sera puni d’un emprisonnement qui ne pourra excéder deux années.

« Le présent décret sera imprimé et envoyé dans tous les départements. »

Pétion était monté à la tribune ; mais, à sa vue, une grande agitation