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HISTOIRE SOCIALISTE

procurerait un commerce immense à la ville de Lyon aux dépens seulement de la Prusse et de la Hollande, qu’il faciliterait l’abondance des matières premières pour établir des filatures de coton dans nos campagnes, même des raffineries de sucre, et qu’il serait en même temps un débouché utile et sûr pour les ports de mer et favoriserait les approvisionnements dans le royaume.

2o Nous croyons utile au commerce en général de conserver seulement dans la ville de Lyon une douane de vérification pour les marchandises venant de l’étranger et une demande de sortie pour les marchandises que Lyon expédie à l’étranger.

Nous chargeons aussi nos députés de demander que les privilèges exclusifs, pour l’extraction des charbons de terre si nécessaires aux manufactures et à la consommation de la ville de Lyon, soient retirés, et l’exploitation rendue aux propriétaires, lesquels seraient tenus de la faire selon les principes de l’art et sous l’inspection des ingénieurs des mines qui seront subordonnés aux administrations des provinces.

« Nous désirons qu’il soit établi dans les environs de Lyon et aux frais de la province, des moulins à organiser les soies, à l’instar de ceux de la Saône et d’Aubenas ; qu’il soit fondé à Lyon une chaire de chimie, dont l’objet particulier soit de perfectionner l’art de la teinture. »

Je le répète : ce sont les nobles « possédant fiefs » de la sénéchaussée de Lyon qui ont rédigé et signé ce programme si vaste et si minutieux. Il y avait parmi eux de grands bourgeois anoblis par les hautes charges municipales, et dans la liste de « MM. les commissaires de la noblesse » qui ont signé le cahier de l’ordre, sont rapprochés les nobles et les bourgeois anoblis : « Le marquis de Mont-d’Or, de Boissy, Chirat, Lacroix de Laval, Beuf de Caris, Jourdan, de Jussieu de Montluel, Imber-Colomès, Palerme de Savy, Loras, Rambaud, Nolhac, le marquis de Regnauld de la Tourette, et Deschamps ». Imber-Colomès, notamment, appartient à l’aristocratie bourgeoise de Lyon. C’est un grand négociant plein d’ambition et d’intrigue, premier échevin de la ville quand s’ouvre la Révolution. À coup sûr, ces hauts bourgeois ont contribué à donner à la noblesse où ils s’incorporaient la notion et le sens des grands intérêts du commerce. Il n’en est pas moins remarquable de voir tous les comtes, barons et marquis du Lyonnais s’associer aussi directement à des revendications économiques aussi précises, et entrer aussi profondément dans les intérêts industriels et marchands de Lyon. Ce qui est frappant surtout, c’est comme ils s’emploient, dans les cahiers mêmes de la noblesse, à organiser la représentation spéciale des intérêts commerciaux. Nulle part, dans la vaste collection des cahiers des États, on ne trouvera une participation aussi décidée de la noblesse à la vie économique.

A Marseille, il est vrai, les nobles consacrent un long paragraphe de leur cahier aux intérêts commerciaux de la cité, mais si on compare ces recommandations très générales et très incertaines aux conclusions si expresses et