Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/101

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qu’il aura les clefs du trésor public, soyez sûr qu’il sera l’âme de toutes les affaires. »

Ainsi, ce que veut Marat, c’est que la Révolution s’achève au dedans directement et non par le funeste détour de la guerre ; c’est que la Révolution mette dans tous les postes d’autorité des agents fidèles, et qu’elle finisse par donner l’assaut aux Tuileries ; c’est un 10 août, sans déclaration préalable de guerre aux puissances, que conseille Marat ; et si tous les révolutionnaires démocrates s’étaient entendus pour calmer l’effervescence du peuple contre le péril factice des émigrés et concentrer sur l’ennemi du dedans l’énergie populaire, là était le salut de la Révolution. Il n’est pas démontré que les puissances auraient osé prendre l’offensive contre la Révolution victorieuse au dedans de ses ennemis. En tout cas, il fallait tenter cette chance de la Révolution avec la paix au lieu d’attiser les conflits extérieurs pour réchauffer à la flamme de la guerre la Révolution. On devine que Marat, qui ne fait encore que manifester une sorte de malaise, ne tardera pas à prendre position contre la politique girondine.

Le roi fit savoir à l’Assemblée, le 12 novembre, par le garde des sceaux Duport-Dutertre, qu’il donnait sa sanction au décret contre son frère. Quant au décret d’ensemble contre les émigrés, il faisait dire qu’il examinerait : c’était la formule officielle du refus de sanction. L’Assemblée accueillit cette communication dans un profond silence. Mais le garde des sceaux Duport-Dutertre ayant voulu expliquer pourquoi le roi avait refusé la sanction, des murmures s’élevèrent et l’Assemblée déclara qu’elle n’avait pas à entendre des explications.

Le choc immédiat entre l’Assemblée et le roi fut beaucoup moins rude qu’on ne l’aurait imaginé. Cambon alla même jusqu’à dire : « Nos ennemis ont en ce moment la preuve la plus imposante que le roi est libre au milieu de ses peuples, même de résister au vœu général ; il vient de mettre son veto sur un décret très important. (Applaudissements.) Je m’applaudis de cet acte de représentant qu’il vient d’exercer ; c’est la plus grande marque d’attachement qu’il ait pu donner à la Constitution. » (Applaudissements.)

Il n’est pas aisé de comprendre pourquoi Louis XVI a refusé sa sanction à ce décret. En fait, il n’était pas très dangereux pour les émigrés. C’est contre les fonctionnaires publics seuls que la peine de la confiscation était portée ; contre les autres émigrés, la preuve légale de la participation au rassemblement restait difficile à faire, et il semble que puisque Louis XVI avait à ce moment pour tactique de gagner la confiance du peuple, il aurait pu sanctionner le décret.

Sans doute il craignit de surexciter encore les émigrés et de les pousser à des démarches imprudentes en paraissant les abandonner. Ne perdrait-il pas le peu d’autorité qu’il avait encore sur eux s’ils pouvaient l’accuser de les avoir livrés à la Révolution ? Pour amortir auprès de l’Assemblée et du pays