Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/129

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jour redevenir assez forte pour prouver à tous ces gueux que je ne suis pas leur dupe ! »

Ainsi l’intrigue de trahison et de mensonge se compliquait à cette heure prodigieusement. La Cour, en effet, va pousser la simulation révolutionnaire jusqu’à accepter la guerre. Et même, elle va faire de la guerre sa politique. Elle se prend à espérer que le roi pourra ainsi se mettre à la tête des troupes et bientôt contenir la Révolution.

C’est le nouveau ministre, Narbonne, qui fait adopter à la Cour cette tactique qui séduisait son ambition d’aventurier. Il aurait ainsi gloire et popularité, puisqu’on marchant contre les émigrés il flattait la passion des patriotes, et bientôt, profitant de ce prestige pour établir en France une sorte de monarchie tempérée à la mode anglaise, il apparaissait comme le restaurateur de l’autorité royale et le modérateur de la liberté. Rêve insensé, car après avoir déchaîné la guerre et surexcité la passion révolutionnaire, comment l’aventurier aurait-il pu maîtriser les événements ?

L’esprit du roi et de la reine était si désemparé qu’ils cédèrent pourtant à ces illusions et à ce conseil, et dès le milieu de décembre, la politique de la guerre subit une révolution : ce n’est plus la guerre de la Gironde qui s’annonce, c’est la guerre du roi et de la Cour. Sur les intentions et les conceptions de Narbonne, le doute n’est pas possible. Bien des années après, en des propos que M. Villemain a recueillis, il disait :

« L’armée, une fois formée, pouvait être pour Louis XVI un appui libérateur, un refuge d’où il aurait soutenu la majorité saine et intimidé les clubs, comme l’essaya et le voulut M. de Lafayette, mais trop tard et trop isolément. »

Il semble bien que c’est entre le 7 décembre, jour de son entrée en fonctions, et le 11 décembre, que Narbonne éblouit et entraîna dans le sens de la guerre le roi et la reine. Louis Blanc cite, à la date du 6 décembre, une lettre de Marie-Antoinette à Mercy où tout le plan belliqueux de la cour est exposé. C’est le texte, aux trois quarts faussé, d’une lettre du 10 décembre, Louis Blanc a été induit en erreur par une publication inexacte et même frauduleuse.

Dès l’entrée de Narbonne au ministère, Marie-Antoinette mettait vaguement en lui quelque espérance ; elle pensait surtout qu’il pourrait servir de lien entre les constitutionnels et la Cour ; mais il ne paraît pas qu’il eût encore entraîné le roi et la reine dans la tactique de la guerre. Et même, lorsque le 7 décembre Narbonne parut pour la première fois à l’Assemblée, Marie-Antoinette en parle avec défaveur : « M. de Narbonne, écrit-elle à Fersen, a fait à son entrée à l’Assemblée un discours d’une platitude peu croyable pour un homme d’esprit. »

Mais le 14 décembre, c’est une toute autre allure. Le roi se rend à l’Assemblée pour répondre au message du 30 novembre. Tous les ministres