Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/134

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prouver à l’Europe que les malheurs intérieurs dont nous avons d’autant plus à gémir que nous nous sommes quelquefois peut-être refusés à les réprimer, naissaient de l’ardeur inquiète de la liberté, et qu’au moment où sa cause appellerait une défense ouverte, la vie et les propriétés seraient en sûreté parfaite dans l’intérieur du royaume. Nous ne reconnaîtrons d’ennemis que ceux que nous aurons à combattre, et tout homme sans défense sera devenu sacré. Ainsi nous vengerons l’honneur de notre caractère, que de longs troubles auraient pu apprendre à méconnaître. Si le funeste cri de guerre se fait entendre, il sera du moins pour nous le signal tant désiré de l’ordre et de la justice ; nous sentirons combien l’exact payement des impôts auquel tiennent le crédit et le sort des créanciers de l’État, la protection des colonies, dont les richesses commerciales dépendent, l’exécution des lois, force de toutes les autorités, la confiance accordée au gouvernement pour lui donner les moyens nécessaires d’assurer la fortune publique et les propriétés particulières, le respect pour les puissances qui garderaient la neutralité ; nous sentirons, dis-je, combien de tels devoirs nous sont impérieusement commandés par l’honneur de la nation et la cause de la liberté. »

Et Narbonne annonçait qu’il partait immédiatement pour faire une tournée d’inspection sur la frontière : il demandait un premier crédit de vingt-cinq millions.

La Gironde fut à la fois réjouie et inquiétée par ce discours. Réjouie : car elle voyait bien que de cette première guerre limitée sortirait bientôt nécessairement la guerre générale, la grande épreuve de la royauté ; inquiétée : car Narbonne semblait, au moins pour un temps, prendre à la Gironde sa guerre, faire de la guerre de la Révolution la guerre du roi. Moment étrange où pour tous les partis la guerre est une manœuvre de politique intérieure : manœuvre du roi qui espère réaliser par là son rêve d’un Congrès des souverains : manœuvre des constitutionnels qui veulent rétablir le pouvoir exécutif et mater les influences jacobines : manœuvre de la Gironde qui veut jeter la royauté en pleine mer, en pleine tempête pour prendre enfin le gouvernail du vieux navire pavoisé aux couleurs nouvelles, ou pour le couler à fond. Et pour jouer ce jeu, pour accepter d’abord la direction de la cour dans une guerre destinée à combattre la cour, pour s’exposer sans peur aux intrigues et trahisons royales et à l’hostilité générale des souverains de l’Europe incessamment provoqués, il fallait aux révolutionnaires de la Gironde une telle foi dans la Révolution et dans la France nouvelle, dans la force rayonnante de la liberté et dans l’héroïsme du peuple, qu’on ne sait si l’on doit détester leur étourderie guerrière ou admirer leur enthousiasme.

Qui sait après tout si la coalition des rois ne se fût pas formée enfin malgré toute la prudence et toute la réserve des partis révolutionnaires ? Qui sait si cette coalition aidée par la lente et sourde trahison royale n’aurait