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Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/147

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que la masse du peuple dans ces contrées, connaît mieux ces faits que notre constitution. Les récits des hommes éclairés qui les connaissent, démentent tout ce qu’on nous raconte de l’ardeur avec laquelle elles soupirent après notre constitution et nos armées. Avant que les effets de notre Révolution se fassent sentir chez les nations étrangères, il faut qu’elle soit consolidée. Vouloir leur donner la liberté avant de l’avoir nous-mêmes conquise, c’est assurer à la fois notre servitude et celle du monde entier ; c’est se former des choses une idée exagérée et absurde, de penser que, dès le moment où un peuple se donne une constitution, tous les autres répondent au même instant à ce signal. »

« L’exemple de l’Amérique, que vous avez cité, aurait-il suffi pour briser nos fers, si le temps et le concours des plus heureuses circonstances n’avaient amené insensiblement cette révolution ? La Déclaration des Droits n’est point la lumière du soleil qui éclaire au même instant tous les hommes ; ce n’est point la foudre qui frappe en même temps tous les trônes. Il est plus facile de l’écrire sur le papier ou de la graver sur l’airain que de rétablir dans le cœur des hommes les sacrés caractères effacés par l’ignorance, par les passions et par le despotisme. Que dis-je ? N’est-elle pas tous les jours méconnue, foulée aux pieds, ignorée même parmi vous qui l’avez promulguée ? L’égalité des droits est-elle ailleurs que dans les principes de notre charte constitutionnelle ? »

Le despotisme, l’aristocratie ressuscitée sous des formes nouvelles, ne relève-t-elle pas sa tête hideuse ? N’opprime-t-elle pas encore la faiblesse, la vertu, l’innocence, au nom des lois et de la liberté même ? La Constitution que l’on dit fille de la Déclaration des Droits, ressemble-t-elle de fait à sa mère ?… Comment donc pouvez-vous croire qu’elle opérera, dans le moment même que nos ennemis intérieurs auront marqué pour la guerre les prodiges qu’elle n’a pu accomplir encore ? »

La suite des événements a montré que Robespierre avait raison d’annoncer la résistance des peuples à la Révolution armée. Certes, les grandes guerres de la Révolution ont ébranlé en bien des pays le régime ancien, mais elles ne l’y ont point abattu, et il y a plus d’une nation à qui il a fallu plus d’un siècle pour conquérir une partie seulement des libertés que possédait la France en 1792. Qui peut dire que la seule propagande de l’exemple aurait agi avec plus de lenteur ? Mais les guerres de la Révolution suscitèrent partout un nationalisme belliqueux et âpre, et l’on ne peut songer sans un regret poignant à ce que seraient les rapports des peuples et la civilisation générale si la paix avait pu être maintenue par la Révolution.

Robespierre, pour détruire les illusions propagées par la Gironde, atteint à une profondeur d’analyse sociale, et, si l’on me passe le mot, de réalisme révolutionnaire qu’on ne peut pas ne pas admirer. Lui qui dit parfois, en paroles vagues, que c’est « le peuple » qui a fait la Révolution, il reconnaît