Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

grès contre-révolutionnaire n’était pas abandonné. Enfin et surtout, comme Brissot l’avait espéré, ce n’était plus la rencontre de la Révolution et des émigrés, c’était la mise en contact direct de la Révolution et de l’Empereur, c’était donc la possibilité de la grande guerre, de celle que la Cour ne voulait pas et que voulait la Gironde. Le roi dissimula sa frayeur et il envoya à l’Assemblée la déclaration suivante :

« Dans la réponse que je fais à l’Empereur, je lui répète que je n’ai rien demandé que de juste à l’électeur de Trêves, rien dont l’Empereur n’eût lui-même donné l’exemple. Je lui rappelle le soin que la nation française a pris de prévenir sur-le-champ les rassemblements de Brabançons, qui paraissaient vouloir se former dans le voisinage des Pays-Bas autrichiens. Enfin je lui renouvelle le vœu de la France pour la conservation de la paix, mais en même temps je lui déclare que si, à l’époque que j’ai fixée, l’électeur de Trêves n’a pas effectivement et réellement dissipé les rassemblements qui existent dans ses États, rien ne m’empêchera de proposer à l’Assemblée nationale, comme je l’ai annoncé, d’employer la force des armes pour l’y contraindre. (Applaudissements.)

« Si cette déclaration ne produit pas l’effet que je dois espérer, si la destinée de la France est d’avoir à combattre ses enfants et ses alliés, je ferai connaître à l’Europe la justice de notre cause ; le peuple français la soutiendra par son courage, et la nation verra que je n’ai point d’autres intérêts que les siens, et que je regarderai toujours le maintien de sa dignité et de sa sûreté comme le plus essentiel de mes devoirs. » (Vifs applaudissements.)

Pendant que le roi, lié par ses premières démarches, entraîné d’ailleurs par Narbonne, parle ainsi à l’Assemblée et à la France et semble résigné à la guerre, même contre l’Autriche, la Cour fait des efforts ambigus et incohérents pour empêcher la guerre, tout au moins avec l’Empereur. La reine, en cette crise, eut recours aux lumières de ses conseillers constitutionnels, des Lameth, de Duport, de Barnave.

Il ne semble pas qu’ils eussent été d’accord sur la tactique conseillée par Narbonne. Il est permis de conjecturer que Lameth et Duport ne l’avaient point blâmée. Barnave y était nettement opposé, au contraire ; mais tous se retrouvaient unis pour prévenir toute extension de la guerre, tout conflit entre le roi et l’empereur. C’est à ce moment, quelques jours avant que Barnave quittât décidément Paris, qu’ils rédigèrent ensemble le mémoire envoyé par la reine à l’empereur. Je rappelle le témoignage de Fersen qui est très net à cet égard :

« Mémoire de la reine à l’Empereur, détestable, fait par Barnave, Lameth et Duport ; veut effrayer l’Empereur, lui prouver que son intérêt est de ne pas faire la guerre (8 janvier 1792). »

C’est évidemment le mémoire dont parle Marie-Antoinette dans sa lettre de janvier à son frère Léopold II :