Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/158

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« Or, cet état d’incertitude et d’alarmes, ces présages cruels sont, ce me semble, mille fois plus effrayants, plus terribles que l’état de guerre. Sans doute, la guerre traîne après elle de grandes calamités ; elle peut même conduire à des fautes désastreuses ; mais enfin pour un peuple qui ne veut pas de l’existence sans la liberté, elle peut aussi conduire à la victoire, et, par elle, assurer une paix tranquille et durable. Au contraire, l’état dans lequel on voudrait vous faire rester est un véritable état de destruction qui ne peut vous conduire qu’à l’opprobre et à la mort. (Vifs applaudissements.)

« Aux armes donc, aux armes ; c’est le salut de la patrie et l’honneur qui le commandent ; aux armes donc, aux armes ; ou bien, victimes d’une indolente sécurité, d’une confiance déplorable, vous retomberez insensiblement et par lassitude sous le joug de vos tyrans ; vous périrez sans gloire, vous ensevelirez avec votre liberté l’espoir de la liberté du monde ; et, devenus par là coupables envers le genre humain, vous n’aurez même pas la consolation d’obtenir sa pitié dans vos malheurs. » (Vifs applaudissements.)

C’est bien, en effet, une sorte d’angoisse, la peur de s’enliser qui fit faire à la Révolution un grand bond vers la guerre.

Vergniaud demande la rupture définitive du traité d’alliance conclu avec l’Autriche et sur lequel reposait, depuis 1756, toute la politique de la royauté. « L’Europe, dans ce moment, a les yeux fixés sur nous. Apprenons-lui enfin ce qu’est l’Assemblée nationale de France. (Bravo ! Bravo ! Vifs applaudissements.) Si vous vous conduisez avec l’énergie qui convient à un grand peuple, vous obtiendrez ses applaudissements, son estime, et les alliances viendront d’elles-mêmes s’offrir à vous. Si au contraire vous cédez à des considérations pusillanimes, à des ménagements honteux ; si vous négligez l’occasion que la providence semble vous offrir pour rompre des liens avilissants ; si, lorsque la nation a secoué le joug de ses despotes intérieurs, vous consentez, vous, ses représentants, à la tenir dans l’asservissement d’un despote étranger, j’oserai vous le dire, redoutez la haine de la France et de l’Europe, le mépris de votre siècle et de la postérité. » (Bravo ! Bravo ! Vifs Applaudissements.)

Oui, mais où était, dans les faits, l’action de ce despotisme extérieur ? et était-ce là vraiment l’obstacle où se heurtait la Révolution ?

«…Démosthènes, tonnant contre Philippe, disait aux Athéniens : Vous vous conduisez à l’égard du roi de Macédoine comme les barbares se conduisent dans nos jeux. Les frappez-vous au bras, ils portent la main au bras, les frappez-vous à la tête, ils portent la main à la tête. Ils ne songent à se défendre que lorsqu’ils sont blessés ; jamais leur prévoyance ne va jusqu’à parer le coup ; ainsi, vous, Athéniens, si l’on vous dit que Philippe arme, vous armez, qu’il désarme, vous désarmez ; qu’il menace un de vos alliés ; vous envoyez une armée pour défendre cet allié ; qu’il menace une de vos villes, vous envoyez une armée au secours de cette ville ; en sorte que