Voilà ce qu’écrit la reine le 2 mars. Or c’était la veille, 1er mars, que le ministre des affaires étrangères, Delessart, avait communiqué à l’Assemblée législative la réponse de l’empereur à la demande d’explication qui lui avait été faite par ordre de l’Assemblée. Et cette réponse même de l’empereur paraît à la reine ambiguë et peu intelligible.
« Je me dispense de parler de la dernière dépêche qui a été lue hier à l’Assemblée. La politique peut l’avoir dictée ; je ne la comprends pas assez pour la juger. Les suites et l’effet pourront seuls fixer mes idées sur elle. »
Le ministre des affaires étrangères, Delessart, se trouvait depuis deux mois dans une situation bien difficile et même périlleuse. Personnellement il voulait le maintien de la paix, il croyait que le parti modéré serait perdu par la guerre, et il cherchait résolument à l’écarter. C’est dire qu’il ne collaborait pas avec la Cour qui, comme nous venons de le démontrer, appelait impatiemment la guerre à la fin de janvier et en février. La Cour cachait soigneusement à Delessart ses intentions belliqueuses. Bien mieux, Delessart avait de l’éloignement pour le ministre de la guerre, Narbonne, dont les fantaisies et les combinaisons lui semblaient très imprudentes. Delessart pensait que si on commençait à déchaîner la guerre on ne pourrait plus la contenir, et qu’ayant commencé par la guerre de parade de Narbonne on finirait nécessairement par la vaste guerre de propagande de Brissot ; déjà la logique même de la politique belliqueuse faisait peu à peu dériver Narbonne vers la Gironde, qui le ménageait et parfois même dans ses journaux, le louait à demi aux dépens de ses collègues. Narbonne sentait bien qu’il s’userait en vaines démonstrations et manifestations, en revues et en mots brillants, s’il ne mettait pas la main sur la politique extérieure et il cherchait à remplacer Delessart. Celui-ci, craignant à tout instant d’être entraîné hors de la ligne qu’il s’était tracée par une étourderie de Narbonne, cherchait à l’éliminer. Il y avait donc entre les deux ministres un conflit aigu. La reine note ce conflit dans une lettre du commencement de février à Mercy : « Il y a guerre ouverte dans ce moment-ci entre les ministres Delessart et Narbonne. Ce dernier sent bien que sa place est dangereuse et il veut avoir celle de l’autre ; pour cela ils se font attaquer tous les deux de tous côtés ; c’est pitoyable. Le meilleur des deux ne vaut rien du tout. »
Mais c’est surtout à l’égard de l’Assemblée que Delessart se trouvait dans une situation fausse et dangereuse. Il était chargé auprès de l’Empereur d’une mission tout à fait délicate. Il devait le sommer de s’expliquer sur ses sentiments intimes, lui arracher le secret de ses pensées, de ses desseins sur la Révolution. Faite sur un ton comminatoire ou même très pressant, cette demande entraînait immédiatement la guerre avec l’Autriche, et cette guerre, Delessart ne voulait pas en assumer la responsabilité, non par connivence avec la Cour, qui lui cachait ses démarches de trahison et qui le détestait,