Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/20

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la vie moderne, était à la fois surannée et oppressive, qu’elle gênait le développement nécessaire de la pleine propriété paysanne, et qu’au risque de froisser la propriété bourgeoise elle-même au point où elle adhérait à la propriété féodale, il fallait détruire celle-ci.

C’était là l’instinct irrépressible des paysans. Mais la doctrine de l’Assemblée était toute contraire, et elle s’épuisait à démontrer aux paysans que s’ils se soulevaient c’était à la suite de manœuvres ou d’excitations contre-révolutionnaires. Fable puérile !

Elle s’épuisait aussi à dénoncer les municipalités rurales, organe naturel de l’émancipation paysanne : « Les explications données à cet égard, déclare-t-elle, par le décret du 15 mars 1790, paraissaient devoir rétablir à jamais, dans les campagnes, la tranquillité qu’y avaient troublée de fausses interprétations de celui du 4 août 1789. Mais ces explications elles-mêmes ont été, en plusieurs contrées du royaume, ou méconnues ou altérées ; et, il faut le dire, deux causes affligeantes pour les amis de la Constitution et, par conséquent, de l’ordre public, ont favorisé et favorisent encore le progrès des erreurs qui se sont répandues sur cet objet importants.

La première, c’est la facilité avec laquelle les habitants des campagnes se sont laissés entraîner dans les écarts auxquels les ont excités les ennemis mêmes de la Révolution, bien persuadés qu’il ne peut y avoir de liberté là où les lois sont sans force, et qu’ainsi on est toujours sûr de conduire le peuple à l’esclavage, quand on a l’art de l’emporter au-delà des bornes établies par les lois.

« La seconde, c’est la conduite de certains corps administratifs. Chargés par la Constitution d’assurer le recouvrement des droits de terrage, de champart, de cens ou autres dus à la nation, plusieurs de ces corps ont apporté dans cette partie de leurs fonctions une insouciance et une faiblesse qui ont amené et multiplié les refus de paiement de la part des redevables de l’État, et ont, par l’influence d’un aussi funeste exemple, propagé chez les redevables des particuliers l’esprit d’insubordination, de cupidité, d’injustice. »

En ces doléances irritées de l’Assemblée apparaît la puissance révolutionnaire et populaire de la vie municipale.

Pendant que dans les villes certaines assemblées primaires de section appellent les pauvres, les ouvriers à la vie publique dont la loi les excluait, dans les campagnes, les municipalités se font souvent les complices, les tutrices de la révolte paysanne contre la loi bourgeoise, soutien du vieux système féodal. Et je note ici un trait qui semble avoir échappe à M. Sagnac.

Les municipalités ayant reçu de la loi la faculté d’acheter de l’État les biens nationaux et de les gérer jusqu’à ce qu’elles les aient revendus aux particuliers, beaucoup de municipalités profitaient de cette gestion pour donner l’exemple de l’abolition complète des droits féodaux.