Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/202

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jolie, comme il avait cinquante-quatre ans et que nous étions tous des convives plus jeunes que lui, il jugea qu’il ne devait pas nous faire souper avec sa maîtresse. Il avait cueilli des lauriers au Champ de Mars, il craignait que quelqu’un de nous lui enlevât ses myrtes. »

Sa conduite en Vendée avait été décidée et adroite. Il s’était mêlé franchement aux patriotes ; il avait harangué de ville en ville les sociétés de Jacobins ; il avait multiplié les fêtes civiques, prenant part aux farandoles qui s’organisaient autour des autels de la Patrie splendidement illuminés. Il avait ainsi gagné la confiance des patriotes, il leur recommandait la prudence, la modération : « Pensons que les rebelles, s’il s’en présente encore, sont des Français égarés par le fanatisme et les préjugés… Soyons sévères comme la loi qui nous fait agir ; mais ne soyons ni cruels, ni injustes. »

Il parlait aux soldats le langage de la Révolution : au 51e qui arrivait de La Rochelle à Luçon, il disait : « Le militaire est citoyen ; son premier devoir envers la Patrie est de défendre la liberté. Si donc il est placé entre les ordres d’un chef qui lui commande d’attenter à cette liberté et sa conscience de Français patriote, il ne saurait être rebelle à la loi en désobéissant à son chef. C’est pourquoi il ne faut que des généraux patriotes à la tête de l’armée. »

Et il ajouta s’adressant aux chefs : « Je vous ordonne de laisser aller les soldats aux sociétés populaires. » À Fontenay, la garde nationale alla au devant du détachement ; les deux troupes se fondirent, et traversèrent la ville en chantant le Ça ira.

Ces détails communiqués à la Société centrale des Jacobins, faisaient grande la popularité de Dumouriez ; et en même temps il usait de son ascendant révolutionnaire sur les troupes pour les détourner du pillage, de la violence. Il savait bien ce qu’il y avait de sec, de dur, d’atrocement égoïste dans la contre-révolution vendéenne. Ce n’était pas à proprement parler le fanatisme religieux qui soulevait la population paysanne, ou tout au moins c’était le fanatisme de l’habitude plus que celui de la foi. C’était la haine d’une civilisation nouvelle plus active, plus libre, plus hardie, qui allait imposer des charges, tout en assurant des droits. Au fond, ces paysans de Vendée auraient voulu végéter dans des coutumes dormantes, comme des plantes dans un étang. Ils avaient peur du mouvement, de la nouveauté, de la vie. Ils ne voulaient pas d’impôts ; ils ne voulaient pas porter les armes ; et sans un goût très vif pour l’ancien régime, ils aimaient mieux y retomber que faire un moment, en courage, en sacrifices, en activité, les frais de la Révolution. En février 1792 la municipalité des Épesses écrivait à Dumouriez : « Notre patriotisme est le travail et l’amour de la paix, et quiconque nous la donne est un Dieu pour nous. Nous payons des guerriers pour protéger nos hameaux et celui qui nous tirerait de nos charrues pour armer nos bras serait un scélérat à nos yeux. Nos corps endurcis ne sont cependant point efféminés ou lâches ;