Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/237

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contre le nouvel ordre de choses, mais le 28 mars 1790, il écrivait au sieur Dubuc fils :

« Je crois possible qu’au moment où vous lirez cette lettre, si elle, vous parvient, vous soyez aux Anglais. Songez que si cela arrivait, il y aurait un grand coup à faire au sujet de la dette de M. Dubuc envers le roi. Cette dette appartiendrait au roi d’Angleterre ; il s’agirait de présenter des arrangements faits ici, qui ôteraient aux vainqueurs le droit de l’exiger. »

Vraiment, c’était prendre bien vite son parti de la domination de l’Angleterre, et quand on est aussi prompt à prévoir que la victoire de l’ennemi permettra d’éluder une dette envers la France, on n’est pas très éloigné de la désirer.

Ainsi les négociants de Saint-Pierre aidaient la Gironde à éveiller la défiance de la bourgeoisie des ports de France contre les colons blancs.

Mais dans toutes ces luttes, la question des esclaves n’était pas nettement posée. En fait, devant la Législative, c’étaient deux systèmes différents de répression contre les noirs soulevés qui étaient aux prises. Les délégués des colons de Saint-Domingue voulaient que la France envoyât des troupes pour écraser à la fois les esclaves noirs et les hommes de couleur libres qui s’étaient joints à eux.

La Gironde, avec Guadet et Vergniaud, voulait que l’on prît pour base de pacification le concordat du 11 septembre, conclu à Port-au-Prince, que l’on réconciliât les colons blancs et les hommes de couleur par l’égalité politique, et qu’avec cette force reconstituée on arrêtât le soulèvement des esclaves. Mais, pour désarmer ceux-ci, nul ne proposait de leur faire une concession ou une promesse. Blangilly, député du département des Bouches-du-Rhône, s’émut de ce silence et il avait préparé des observations sur « l’inutilité absolue des moyens qu’on prend pour apaiser les troubles de Saint-Domingue si l’on n’améliore pas en même temps le sort des nègres esclaves, si l’on n’interdit pas aux colons les rigueurs excessives qu’ils se permettent d’exercer sur eux. »

Il y disait :

« Peut-on être surpris de la révolte des nègres ? Quel est celui qui n’a pas entendu dire, dès son enfance, que les colonies périraient par un massacre général ? Quel est celui qui n’a pas entendu parler des nombreuses tentatives que les nègres font depuis plus d’un siècle pour secouer le joug de leur intolérable captivité ? Quel est enfin celui qui peut ignorer que la vengeance des esclaves renversa les plus grands empires ?

Et il constatait que tout entière à la querelle des colons blancs et des mulâtres, l’Assemblée paraissait oublier les esclaves noirs :

« Quoi ! la plus nombreuse, la plus outragée des trois classes n’a aucune sorte de droits et de plaintes à faire valoir ? N’était-il pas naturel de mettre en question les motifs de son désespoir, au lieu de rappeler à l’ordre de la ques-