Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


« En effet, qui est-ce qui porte l’homme, vivant en société, à la soumission et à l’observance des lois ? Ce n’est que la protection qu’elles lui accordent, tant à raison de la sûreté de sa personne que de la possession et jouissance de ses propriétés.

« Or, si le montant des arrérages de rente, qui se sont accumulés depuis 1789, fruit des circonstances, absorbent, dans la plupart des terres ci-devant seigneuriales, la valeur des propriétés, alors, point de doute que ces hommes, se voyant dépouillés de tous leurs biens ou, ce qui est à peu près la même chose, assujettis à une rente si exorbitante que, malgré tous les soins qu’ils donnent à la culture, leurs revenus territoriaux ne sont pas suffisants pour l’acquitter, ils opposeront la force à la force, et le sacrifice de leur vie ne leur coûtera rien.

« La commune demande ensuite que la Nation se charge elle-même du rachat des rentes. »

Visiblement, la patience des paysans est à bout : partout ils veulent être débarrassés, purement et simplement, des obligations féodales. Ou les seigneurs ne seront pas indemnisés, ou ils le seront par la Nation. Le paysan se refuse à payer les rentes féodales, il se refuse aussi à les racheter, et il annonce tout haut qu’il se défendra par la force.

Il est impossible que les nouveaux élus n’aient pas été troublés par ce mouvement ; et tous ces procureurs, tous ces avocats, tous ces administrateurs, qui arrivaient à la députation, cherchèrent à coup sûr, dès le premier jour, par quelle habileté juridique ils pourraient donner une apparence légale à l’expropriation des seigneurs.

Le Comité féodal est constitué dès le début, et ce n’est plus l’influence conservatrice, traditionaliste de Merlin qui y domine. Mais la question fut portée à la tribune de la Législative avant même que le Comité féodal eût présenté son rapport. C’est Couthon, le véhément ami de Robespierre, qui fut, je crois, le premier à la soulever. Dans la séance du 29 février 1792 il dit :

« Je prie l’Assemblée d’entendre quelques observations que j’ai à lui soumettre, relativement aux circonstances où nous nous trouvons : quoiqu’elles ne soient pas à l’ordre du jour, elles sont infiniment importantes. »

L’Assemblée décida qu’il serait entendu : et Couthon entra à fond dans l’habile tactique des paysans. Il démontra que les grands périls intérieurs et extérieurs qui menaçaient la Révolution, faisaient une loi à celle-ci, une loi de salut public, de s’assurer le dévouement des cultivateurs :

« Messieurs, nous touchons peut-être au moment où nous allons, les armes à la main, défendre notre liberté contre les efforts combinés des tyrans. Nous la conserverons ; ce serait un crime d’en douter ; un grand peuple, qui veut fermement être libre, sera toujours invincible ; ou il écra-