Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/296

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mais elle se voit dans l’impossibilité de continuer ce service. Cependant, quels sont les citoyens qui ont entre les mains les billets de cette Caisse ? Ce sont les ouvriers. C’est la classe peu aisée de la Société, c’est la classe qui manque de pain. Il est donc indispensable que l’Assemblée vienne à leur secours. »

Mais les résistances furent vives. Deux sentiments parurent dominer un moment l’Assemblée : d’abord la peur de créer un précédent redoutable, et d’assumer la responsabilité de toutes les Caisses qui fonctionnaient en France, et ensuite une sorte de haine naissante contre Paris. Quoi ! nous allons donner 3 millions pour les ouvriers parisiens, et c’est avec les contributions des provinces que nous aiderons Paris ! Isnard, le fougueux et incohérent Isnard, qui avait débuté à l’Assemblée par les discours les plus violents dans le sens de la Révolution, qui, brusquement, avait conseillé une politique de détente et de modération et qui avait éveillé par son apparente volte-face tant de soupçons, que le grave journal de Prudhomme l’accusa formellement d’avoir reçu de l’argent de la Cour ; Isnard, qui sous la Convention, prononcera contre Paris les célèbres paroles de violence insensée, semble préluder à ce rôle de « rural » forcené, en s’opposant au vote de tout secours. Il alla jusqu’à interrompre Vergniaud, qui parlait pour Paris, d’une manière si indécente, que l’indulgent Vergniaud dut demander son rappel à l’ordre. L’Assemblée vota d’abord, le 30 mars, d’assez mauvaise grâce, une motion où perçait la défiance à l’égard de la municipalité de Paris : « L’Assemblée nationale, après avoir décidé l’urgence, décrète que la Caisse de l’extraordinaire tiendra à la disposition du ministre de l’Intérieur et sur sa responsabilité, la somme de 3 millions qu’il remettra au directoire du département de Paris, à titre d’avance, et à la charge d’être remboursée par lui, pour être ensuite versée dans la Caisse de la municipalité dûment autorisée. »

Les Feuillants, irrités par le récent avènement ministériel de la Gironde, confiaient les fonds au Directoire modéré du département, et semblaient prendre des précautions contre Pétion. Ce premier décret de mauvaise humeur était absurde, car il organisait une procédure assez longue et il fallait pourvoir d’urgence au remboursement des billets, sous peine de provoquer un soulèvement du peuple de Paris subitement ruiné. Le 30 mars, Pétion revint à la charge.

Le ministre de l’intérieur Roland intervint et il déclara à l’Assemblée parmi les murmures : « Les circonstances sont très pressantes, très critiques, et s’il n’y avait pas les secours nécessaires, on ne pourra pas répondre qu’il n’y ait un soulèvement. » Enfin, l’Assemblée, cédant à la nécessité et à la pression girondine, décida, sur la motion de Girardot, que 500.000 livres seraient immédiatement mises à la disposition du directoire et par lui transmises le jour même à la municipalité.

La crise fut ainsi conjurée, et d’ailleurs, au même moment, la nouvelle