Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/306

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s’irrite, se réjouit, passant d’une sorte d’abandon sentimental à de soudaines défiances. Écoutez comme il admire d’abord Mirabeau en son numéro 10 :

« Je ne m’étonne pas si l’éloquent Mirabeau avec sa voix de tonnerre trouve tant de plaisir à les écraser (l’abbé Maury et ses amis)… Parle toujours, notre cher homme de la patrie ; notre cœur jouera du violon, toutes les fois que tu ouvriras la bouche pour pérorer dans notre auguste Assemblée. »

C’est vraiment l’écho des femmes de la Halle, l’appelant à Versailles « notre petit père Mirabeau ». Mais tout à coup les combinaisons de Mirabeau, sa politique compliquée l’inquiètent (no 12) :

« Nous voyons que ta sacrée caboche nous a donné des inquiétudes mortelles… Ce n’est pas assez d’avoir une bonne gueule, il faut avoir une belle âme, entends-tu, mon bougre d’ami ? »

C’était bien là, à l’égard de Mirabeau, le sentiment même du peuple : inquiétude et affection. Marat n’a pas ces notes riches.

Mais voici, dès l’été de 1791, les manœuvres d’agio sur les assignats qui s’annoncent. Hébert commence contre les « accapareurs » une vigoureuse campagne (no 14), et il fait un piquant portrait des capitalistes révolutionnaires :

« J’ai eu beau crier contre les foutus marchands d’argent, contre ces triples juifs qui accaparaient nos écus, j’ai eu beau leur donner la chasse, les poursuivre à coups de fouet, les jean-foutres osent encore reparaître, et vendre des petits assignats que nous attendions avec tant d’impatience. Qui sera assez lâche pour ne pas oser repousser de pareils mâtins, tomber sur eux, les rosser d’importance et les reconduire tout martelés de coups chez les âmes damnées qui les font agir ?

« Je ne sais par quelle sacrée politique on n’a pas encore été à la source de ces manœuvres qui ont si souvent mis le peuple et l’armée au désespoir. Il y a un tas de jean-foutres qui sont à la tête de l’opinion publique, qui ont l’air de servir les intérêts du peuple, qui le caressent d’une main et qui lui foutent des coups de l’autre. Mille noms d’un tonnerre ! Je ne pourrai jamais en tenir un et le traiter comme il le mérite ? Ces bougres d’agioteurs, s’imaginent-ils donc qu’ils seront les seuls impunis ? Comment ? On aura écrasé la noblesse, les parlementaires, le clergé, et ces cœurs d’Arabes seraient épargnés ? Qu’ils tremblent, les monstres ! un jour viendra que la fureur du peuple montée à son comble leur fera sentir les effets d’un terrible mais juste châtiment.

« Comment le cœur ne se soulèverait-il pas quand on considère ces magnifiques hôtels qu’ils ont cimentés avec les larmes des malheureux ? Les bougres de mâtins ont eu l’air de se mettre à la tête de la Révolution, disant que c’était la liberté qu’ils défendaient, tandis que c’était leur or. Aussi les ai-je toujours vus varier suivant les circonstances. Quand on rendait quelques décrets avantageux pour leurs manœuvres, les bougres étaient bien patriotes ; quand il y avait quelques lenteurs dans les travaux de l’Assemblée