Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/320

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et le port, et « qu’une ville immense, renfermant plus de 100 millions de propriétés », était menacée de périr par l’anarchie. Eux aussi ils demandent, pour rassurer le peuple, l’intervention de l’État dans le commerce des grains :

« Si les subsistances appartiennent à la nation, que la nation se charge de les faire refluer des lieux où elles abondent dans ceux où elles manquent ; alors les denrées ne seraient plus à la merci de l’avidité des spéculateurs. »

L’Assemblée n’alla pas jusque-là, mais elle chargea le gouvernement d’acheter à l’étranger et de revendre des grains.

« Il est peut-être impolitique, dit Cambon, le 1er mars, dans des temps ordinaires, de charger le gouvernement de l’achat des grains, mais dans ce moment-ci il faut prendre des mesures extraordinaires. Nos pays méridionaux manquent de grains ; si vous leur donniez des secours en argent, la concurrence s’établirait dans tous les marchés étrangers, et dans les achats de papiers sur l’étranger, ce qui pourrait produire des désavantages considérables : 1o en faisant augmenter les grains dans les marchés ; 2o en faisant baisser le cours du papier sur l’étranger ; en conséquence le ministre de l’intérieur doit être chargé de l’achat de ces grains. »

C’est surtout au printemps, en mars et avril, que les mouvements furent vifs, soit qu’à ce moment les charrois de grains suspendus en partie par l’hiver reprissent avec activité, soit que les approvisionnements de l’année précédente, dont la récolte avait été très bonne, fussent épuisés et que l’inquiétude s’accrût, soit que l’animation croissante de la lutte contre les émigrés et les prêtres, et l’imminence de la guerre contre l’étranger, passionnassent toutes les questions. En outre, le mouvement de hausse dans le prix des denrées, dont nous avons signalé les causes multiples, se faisait surtout sentir à ce moment et déterminait jusque dans les campagnes une émotion assez vive. Ainsi c’est aussi bien pour hausser les salaires ou pour taxer les denrées que pour retenir sur place les grains que, en ce printemps irrité et inquiet de 1792, les ouvriers et les cultivateurs se soulèvent.

À Poitiers, ce sont les ouvriers des manufactures qui demandent la taxation du prix du pain, déclarant qu’au-dessus de trois sous la livre il est trop cher pour les salariés. Le 20 mars, un délégué de la municipalité de Poitiers vient demander un secours de 30,000 livres pour nourrir une population ouvrière pauvre, et une population de mendiants qui, en ce pays découverts et d’abbayes, était la veille la clientèle misérable et avilie des moines.

« Depuis plusieurs jours, il était survenu une progression subite et effrayante dans le prix des grains ; les boulangers sollicitaient avec raison une augmentation proportionnelle dans le prix du pain… La municipalité se réunit alors avec les directoires du district et du département, et il fut reconnu qu’on ne pouvait s’empêcher de surtaxer le pain… »

Mais six cents ouvriers investirent la maison commune en criant : « Aux