Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/33

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droits annuels, le cens, le champart, qui étaient les plus lourds ? Ces droits aussi, tant qu’ils subsisteront, maintiendront plus que le souvenir de l’ancien lien de vassalité. Si le Comité n’ose pas y toucher, c’est que ces droits ressemblent de très près, à la pure rente foncière, à la rente bourgeoise ; et le Comité a peur de paraître ébranler le droit de propriété. Même pour les droits de mutation, il admet qu’ils devront être rachetés si les seigneurs produisent les titres établissant la concession primitive du fonds. Exception peu justifiée et dangereuse. Car d’abord, cette concession primitive n’est peut-être que l’exercice le plus odieux de la tyrannie seigneuriale. C’est parce que le seigneur s’était approprié tout le territoire, que les autres hommes ne pouvaient se créer un peu de propriété dépendante, que par une concession du seigneur : ce que le Comité féodal reconnaît comme la marque du droit, est le signe le plus certain de la violence. Et cette exception encourageait à la résistance les partisans du maintien des droits : elle leur fournissait un argument que bientôt l’un d’entre eux, Deusy, fera valoir avec force : « Vous reconnaissez donc qu’il y a des cas où les droits de mutation représentent une transaction légitime : pourquoi donc en exigeant le titre primitif, rendez-vous si difficile la preuve d’opérations honnêtes et que vous déclarez vous-même avoir existé ? »

Malgré tout, le projet du Comité féodal est un coup vigoureux porté à l’arbre de la féodalité : il abolissait sans indemnité tous les droits féodaux casuels, tous les droits de mutations, sauf le cas où les seigneurs pourraient produire le titre primitif établissant que ces droits étaient le prix d’une concession de fonds. Comme il serait très difficile aux seigneurs de produire ce titre primitif, comme la plupart n’avaient d’autre titre que la possession ou des reconnaissances ultérieures, en fait, c’était l’abolition sans indemnité de toute une catégorie des droits que la Constituante avait déclarés rachetables. Et qui ne voit que bientôt, par une suite inévitable, les autres droits féodaux, même les droits annuels comme le cens, le champart, la rente foncière seraient mis en question ?

« Article 1er.— L’Assemblée Nationale dérogeant aux articles 1er et 2e du titre III du décret du 15 mars 1790, et à toutes autres lois à ce relatives, décrète qu’à partir de la publication du présent décret, tous les droits casuels connus sous les noms de quint, requint, treizièmes, lods et tresains, lods et ventes et issues, mi-lods, rachats, venterolles, plaids, acapte, arrière-acapte et autres dénominations quelconques, et qui étaient dus à cause des mutations qui survenaient dans la propriété ou la possession d’un fonds par le vendeur, l’acheteur, les donataires, les héritiers, et tous autres ayants-cause du précédent propriétaire ou possesseur, sont et demeurent supprimés sans indemnité.

« Article 2. — Tous les rachats des dits droits qui ne sont point encore consommés par le payement, cesseront d’avoir lieu, soit pour la totalité du