Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/36

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aux seigneurs le soin de faire la preuve de leur légitimité. Seulement, c’est sur la nature de la preuve qu’il diffère du Comité : il est bien moins exigeant. À défaut du titre primitif, il se contente « d’une ou deux reconnaissances soutenues d’une possession de cent ans ».

La différence est immense ; car autant il était malaisé aux seigneurs de produire un titre primitif constituant la preuve d’une concession de fonds, autant il leur était aisé d’apporter une ou deux reconnaissances que l’habileté de leurs intendants et des feudistes avaient arrachées à la dépendance des vassaux : et le plus souvent la jouissance de ces droits remontait, en effet, à plus de cent années. Ainsi, le système de Dorliac facilitait singulièrement la preuve du seigneur ; et il aurait prolongé en fait, sur beaucoup de paysans l’oppression féodale. Très habilement, Dorliac semble faire des concessions au mouvement paysan et se placer dans le système même du Comité, en imposant la preuve au seigneur ; mais, au fond, bien souvent du moins, il rétablit ce qu’il paraissait supprimer.

Très habilement aussi, il prévoit que l’effort d’abolition va s’appliquer bientôt aux droits annuels, cens et champarts, comme aux droits casuels : et il imagine tout un système ingénieux et vaste qui sauverait en réalité les droits du seigneur. Chaque domaine seigneurial, chaque fief était à la fois, si je puis dire, débiteur et créancier. Tel fief devait une redevance à son suzerain : mais en même temps, il avait droit à une redevance de la part d’un arrière-fief. Dorliac propose que l’État prenne à son compte toutes ces charges et tous ces droits : il se substituera aux seigneurs pour percevoir les droits dus par les tenanciers et c’est lui qui paiera les seigneurs.

Ainsi les seigneurs ne perdront pas un sou des droits utiles dont ils jouissaient antérieurement et les anciens tenanciers ne seront pas dégrevés d’un sou ; mais ce n’est plus comme seigneurs que les seigneurs percevront : c’est comme créanciers de l’État. Ce n’est plus comme tenanciers que les tenanciers paieront : c’est comme débiteurs de l’État. Le rapport de féodalité qui unissait le tenancier au seigneur sera aboli, et des rapports juridiques nouveaux, les rapports juridiques de l’État bourgeois avec ses créanciers ou débiteurs seront substitués au système féodal sans que cette transformation juridique modifie en rien les avantages pécuniaires dont jouissait le seigneur, les charges pécuniaires dont souffrait le paysan.

Article 17 du projet de Dorliac : « Dès ce moment (c’est-à-dire après l’expertise des municipalités et des districts) tous les droits et redevances ainsi liquidés demeureront éteints et convertis en de simples créances ; les terres mentionnées dans les évaluations seront déclarées libres et franches de tous droits féodaux ou censuels : tous rapports entre les ci-devant censitaires et les ci-devant seigneurs seront détruits ; la nation sera subrogée tant à la dette des redevances envers les ci-devant seigneurs qu’à la créance des ci-devant seigneurs sur leurs anciens redevables ; et, en conséquence, ceux-ci seront