Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/387

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abus, c’est l’ouvrage de la faiblesse écrivant sous les yeux, souvent sous la dictée de la tyrannie ; mais cette même histoire, telle qu’on la conçoit en ce moment, peut devenir un fonds inépuisable des plus hautes instructions morales.

Autographe de Cambon.
(D’après un document des Archives nationales.)


« Que désormais s’élevant à la dignité qui lui convient, elle devienne l’histoire des peuples et non plus celle d’un petit nombre de chefs ; qu’inspirée par l’amour des hommes, par un sentiment profond pour leurs droits, par un saint respect pour leurs malheurs, elle dénonce les crimes qu’elle raconte, que loin de se dégrader par la flatterie, loin de se rendre complice par une vaine crainte, elle insulte jusqu’à la gloire toutes les fois que la gloire n’est point la vertu ; que par elle une reconnaissance inépuisable soit assurée à ceux qui ont servi l’humanité avec courage, et une honte éternelle à quiconque n’a usé de sa force que pour nuire ; que dans la multitude des faits qu’elle parcourt, elle se garde de chercher les droits de l’homme qui certes ne sont point là ; mais qu’elle y cherche et qu’elle y découvre les moyens de les défendre que toujours on y peut trouver ; que pour cela, sacrifiant ce que le temps doit dévorer, ce qui ne laisse point de trace après soi, tout ce qui est nul aux yeux de la raison, elle se borne à marquer tous les pas, tous les efforts vers le bien, vers le perfectionnement social, qui ont signalé un si grand nombre d’époques, et à faire ressortir les nombreuses conspirations de tous les genres, dirigées contre l’humanité avec tant de suite, conçues avec tant de profondeur, et exécutées avec un succès si révoltant ; qu’en un mot, le récit de ce qui fut se mêle sans cesse au sentiment énergique de ce qui devait être ; par là l’histoire s’abrège et s’agrandit ; elle n’est plus une conception stérile ; elle devient un système moral ; le passé s’enchaîne à l’avenir, et en apprenant à vivre dans ceux qui ont vécu, on met à profit pour le bonheur des hommes, jusqu’à la longue expérience des erreurs et des crimes. »

Évidemment cette conception purement morale de l’histoire, toute entière orientée vers la Révolution française est à certains égards factice et étroite. L’histoire est un enseignement ; mais elle est aussi un spectacle, le déploiement coloré des passions humaines, et de la grande aventure de la