Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/462

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naires en armes fussent admis. Les modérés, comme Ramond, s’y opposèrent.

Pendant que se prolongeait le débat, le peuple des faubourgs était arrivé près de l’Assemblée. Le manège, où elle siégeait, était situé au point où se croisent aujourd’hui les rues de Rivoli et de Castiglione. Il était adossé à la terrasse des Feuillants, et celle-ci communiquait avec le jardin des Tuileries. Santerre, par une lettre au président de l’Assemblée, demande pour les pétitionnaires le droit d’entrer et de défiler. La gauche acclame la lettre, la droite murmure. Mais le peuple pénètre de force dans l’enceinte de l’Assemblée, et une pétition, au bas de laquelle se trouve en première ligne le nom de Varlet, un des futurs hébertistes, est lue par l’orateur de la députation. C’était un manifeste violent contre le veto, c’est-à-dire contre ce qui restait de la royauté :

« Faites donc exécuter la volonté du peuple qui vous soutient, qui périra pour vous défendre ; réunissez-vous, agissez, il est temps… Les tyrans, vous les connaissez ; ne mollissez point devant eux. Trembleriez-vous, tandis qu’un simple parlement foudroyait souvent la volonté des despotes ? Le pouvoir exécutif n’est point d’accord avec vous, nous n’en voulons d’autres preuves que le renvoi des ministres patriotes. C’est donc ainsi que le bonheur d’une nation dépendra du caprice d’un roi, mais ce roi doit-il avoir d’autre volonté que celle de la loi ? Le peuple le veut ainsi, et sa tête vaut bien celle des despotes couronnés…

« Nous nous plaignons, messieurs, de l’inaction de nos armées ; nous demandons que vous en pénétriez la cause. Si elle dérive du pouvoir exécutif, qu’il soit anéanti. Le sang des patriotes ne doit pas couler pour satisfaire l’orgueil et l’ambition du château des Tuileries… Législateurs, nous vous demandons la permanence de nos armes jusqu’à ce que la Constitution soit exécutée. Cette pétition n’est pas seulement des habitants du faubourg Saint-Antoine, mais de toutes les sections de la capitale et des environs de Paris. »

Près de dix mille hommes, portant des armes, de verts rameaux, dansant et chantant, défilèrent devant la tribune de l’Assemblée. Le peuple voulait en finir avec l’intolérable équivoque qui paralysait tout, avec l’universelle trahison du roi et de la Cour, au dedans et au dehors. Son orateur, Gouchon, en une rhétorique souvent prétentieuse et sotte, n’avait traduit qu’à demi sa pensée : le peuple allait à la République.

Depuis près de trois ans, depuis le 5 et 6 octobre, il n’y avait pas eu contact de la force populaire et des législateurs. Mais quel progrès d’éducation politique ! Aux 5 et 6 octobre, il y avait bien des raisons politiques du mouvement. Il s’agissait d’écarter le veto absolu, d’exiger la sanction des Droits de l’Homme. Mais je ne sais quoi de naïf, d’instinctif et d’élémentaire, un reste des soulèvements d’ancien régime, la passion violente et soudain