Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/483

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l’hypothèse même ne s’est pas insensiblement confondue avec la réalité, comme un moment la folie simulée d’Hamlet ne se distingue plus très nettement de la folie réelle. J’ai eu tort tout à l’heure de m’excuser de noter cet art merveilleux et ici presque magique. Car il me plaît que l’éclair qui manifeste enfin la fourberie royale soit d’une splendide beauté, et qu’en cette minute de clairvoyance exaltée le regard de flamme de la Révolution soit le regard du génie.

Au fond, la question était nettement posée : Si le roi ne défend pas réellement, sincèrement la liberté et la patrie, il est, d’après la Constitution, considéré comme ayant abdiqué. Or, il ressort de tous les faits connus que le roi ne défend pas sincèrement et comme elles doivent être défendues, la patrie et la liberté.

Sa déchéance s’impose donc, à moins que le roi, par un brusque revirement ou par la révélation suprême d’une bonne foi constitutionnelle que son entourage avait obscurcie, ne désarme la Constitution prête à frapper. Donc, à moins d’une conversion quasi-miraculeuse de Louis XVI, c’est la fin de sa royauté, c’est la fin de la royauté. Vergniaud. pourtant, comme les grands orateurs imaginatifs, semble avoir espéré que la force éblouissante et menaçante de sa parole, secondée par une manifestation de l’Assemblée, porterait dans l’âme du roi un salutaire et décisif avertissement. Il formula ainsi ses conclusions :

« Je propose de décréter :

« 1o Que la patrie est en danger, et sur le mode de cette déclaration, je me réfère au projet de la commission extraordinaire des Douze ;

« 2o Que les ministres seront responsables de tous les troubles intérieurs qui auraient la religion pour prétexte ;

« 3o Qu’ils sont responsables de toute invasion de notre territoire, faute de précautions pour remplacer à temps le camp dont vous aviez décrété la formation.

Je vous propose ensuite de décréter qu’il sera fait un message au roi dans le sens que j’ai indiqué.

« Qu’il sera fait une adresse aux Français pour les inviter à l’union et à prendre les mesures que les circonstances rendent nécessaires.

« Que vous vous rendrez en corps à la fédération du 14 juillet et que vous y renouvellerez votre serment du 14 janvier.

« Que le roi sera invité à y assister pour y prêter le même serment.

« Enfin que la copie du message au roi, l’adresse aux Français et le décret qui sera rendu à la suite de cette discussion soient portés par des courriers extraordinaires dans les 83 départements. »

Une longue acclamation lui répondit ; et le modéré Mathieu Dumas ayant répondu, non sans talent et sans courage, à Vergniaud, l’Assemblée, encore sous l’émotion de la parole magnifique et habile de l’orateur girondin, refusa