Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vous ne vous y associerez pas ; ou si vous préférez à l’amitié d’une grande nation vos rapports avec quelques brigands, attendez-vous à des vengeances ; la vengeance d’un peuple libre est lente, mais elle frappe sûrement. » (Applaudissements.)

Ô détestable griserie d’ignorance et d’orgueil. Même le Ça ira avait retenti dans le discours de Brissot « ce chant célèbre qui propagera jusque dans les derniers temps l’histoire de la Révolution. » Brissot donna lecture d’un projet de décret qui se terminait ainsi :

« Quant aux puissances étrangères qui favorisent les émigrants et les rebelles, l’Assemblée nationale réserve à cet égard de prendre les mesures convenables, après le rapport du ministre des Affaires étrangères ajourné au 1er novembre. »

C’était menaçant et vague : c’était la nuée perfide portant la guerre dans ses flancs. Quand Brissot descendit de la tribune d’où il avait laissé tomber tant de paroles contradictoires, aveuglantes et funestes, « une grande partie de l’Assemblée et des tribunes applaudit à plusieurs reprises. — Les applaudissements accompagnent M. Brissot jusqu’à sa place, et quelques minutes se passent dans l’agitation. » Ce fut une journée fatale.

Aucun orateur n’osa répondre nettement à Brissot qu’il compromettait témérairement la paix, et que la Révolution ne devait pas se risquer en cette grande aventure sans une connaissance certaine de l’état de l’Europe et sans une nécessité absolue. Les uns déclarèrent modestement et presque humblement qu’ils n’avaient que « quelques étincelles à ajouter aux grands éclairs de Brissot » ; d’autres se bornèrent à dire qu’il avait « transformé tout le champ de la discussion » et à demander un ajournement du débat.

Les journaux démocratiques furent un moment déconcertés. Le journal de Prudhomme, les Révolutions de Paris, qui tout à l’heure, va ouvrir contre la politique de guerre une si belle et si vigoureuse campagne, se tait tout d’abord. C’est à peine s’il mentionne le grand discours de Brissot et il ne le commente pas. Ce silence ou ce quasi-silence sur un discours aussi sensationnel est déjà significatif : c’est un blâme secret, qui n’ose s’exprimer encore. Marat lui-même est embarrassé ; lui, qui bientôt, se déchaînera contre Brissot avec tant de violence, il se réserve ; pourtant, avec sa clairvoyance aiguë, il a bien démêlé les sophismes et les contradictions du discours, mais on dirait qu’il n’ose prendre ouvertement à son compte les critiques qu’il suggère, et sa conclusion est bien vague. Dans son numéro du 25 octobre, il écrit : « Je ne suivrai point M. Brissot dans ses considérations sur nos rapports politiques avec les nations étrangères, que nous devons regarder comme ennemies, d’après les outrages qu’en éprouvent les Français, amis de la liberté.

« Il pense, qu’au lieu de nous attaquer de vive force, elles formeront entre elles, une médiation armée, pour reconnaître la noblesse, et nous donner le gouvernement anglais. Mais à quoi bon, dira