Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/56

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Évidemment, les objections que Marat met dans la bouche du raisonneur, ont frappé Marat lui-même, et devant le discours de Brissot il ressent du malaise. Mais il n’est pas encore décidé à l’offensive.

Ainsi, dès son premier éclat, la politique belliqueuse semblait tout dominer. Et pourtant, jamais les dispositions des puissances ne furent plus incertaines. Jamais il ne parut plus facile, à une politique avisée, de conjurer toute agression et d’empêcher le concert des souverains. J’ai déjà cité la lettre du roi d’Angleterre qui refusait tout concours au roi de Suède et par son ferme propos de neutralité, réduisait à néant la convention de Pilnitz. J’ai cité aussi ce que Fersen écrit des dispositions tout à fait négatives de l’empereur Léopold. Il est certain qu’en octobre, au moment même où Brissot pousse la France à une démarche décisive, le désarroi et l’hésitation sont très grands à la Cour et chez les puissances.

La trahison royale continue. Ni Louis XVI, ni Marie-Antoinette n’acceptent la Révolution et la Constitution. Mais ils sont frappés de terreur, ils ont peur qu’une imprudence des émigrés expose leur liberté et leur vie même aux plus grands périls. Ils s’efforcent à paralyser l’émigration : et ils demandent aux souverains étrangers de former un Congrès. Ce Congrès essaiera d’imposer à la France une constitution nouvelle, plus respectueuse de la monarchie. C’est la trahison, mais la trahison mêlée de peur. Car Louis XVI et Marie-Antoinette craignent que si le Congrès des souverains procède d’emblée par la force, il ne provoque un soulèvement terrible de toute la France. Il faudrait qu’il pût agir par une sorte de pression. Mais cette pression ne sera efficace que si les puissances sont absolument unanimes.

Or, cette unanimité absolue est, à cette date, une chimère. Des puissances se réservent et elles tirent argument de l’acceptation de la Constitution par Louis XVI. Les princes, les émigrés, désavoués par le roi, redoutés par la reine, importuns aux puissances, s’exaspèrent tous les jours, mais d’une rage impuissante.

Le 20 octobre, le jour même où Brissot sonne la première fanfare de guerre, le comte de Fersen écrit au roi de Suède : « Sire, je suis assuré que l’intention de l’empereur est de regarder la sanction du roi de France comme bonne, et de ne rien faire en ce moment, sous prétexte qu’on ne peut pas lui donner un démenti. Mais la seule chose qu’on pourrait obtenir, serait l’annonce immédiate d’un Congrès, la fixation du lieu et la nomination des membres qui devraient le composer. Le prétexte de ce Congrès serait la prise de possession que l’Assemblée a faite d’Avignon. Il faudrait engager le pape à réclamer l’intervention de toutes les puissances de l’Europe contre une telle usurpation. La Cour d’Espagne pourrait indiquer cette démarche à Sa Sainteté. Je doute cependant encore de l’activité que l’empereur mettrait à cette démarche s’il n’y était poussé par les autres Cours. »

Marie-Antoinette écrit le 19 octobre à Fersen : « J’écris à M. de Mercy