Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/564

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Heureusement pour sa gloire, l’ennemi le considérait encore comme un des hommes de la Révolution. Il fut arrêté et, pour de longues années, jeté dans les prisons de l’Autriche. Dumouriez fut nommé au commandement de l’armée du Centre, et il l’anima tout de suite de son esprit confiant, de son activité allègre. « Enfin, disaient les soldats, nous allons marcher ! »

Ainsi, la Révolution du 10 août fut bientôt acceptée et même acclamée. La Constitution de 1791 avait vécu : la République allait naître. Que de chemin parcouru en trois années ! En 1789, tous les députés, tous les constituants sont royalistes. Tous veulent concilier le droit idéal et éternel de l’homme, le droit souverain de la nation, avec le droit historique de la monarchie.

Il est parmi eux des modérés, qui s’effraient vite à la pensée de trop ébranler la royauté. À la droite de ce groupe, est Malouet ; à sa gauche, est Lafayette. Il y a ceux qu’on pourrait appeler les radicaux constitutionnels qui, pour détruire à fond le privilège nobiliaire et assurer le gouvernement définitif de la bourgeoisie révolutionnaire, semblent un moment se livrer tout entiers aux passions du peuple, harcèlent la royauté et veulent, pour employer l’expression anglaise, en limiter le plus possible la prérogative. Ce groupe, qui va de Barnave à Duport, ébranle la monarchie ; mais il ne veut pas la déraciner. Il coquette avec la démocratie, et Duport va même jusqu’à proposer le suffrage universel ; mais le groupe en son ensemble est surtout préoccupé d’installer la puissance bourgeoise. Il va vers le peuple juste autant qu’il est nécessaire pour intimider et contenir la monarchie : il veut retenir de la monarchie juste ce qui est nécessaire pour préserver des éléments « anarchiques » le gouvernement naissant de la bourgeoisie éclairée.

Au delà est le parti des démocrates avec Robespierre. Ceux-là ne s’ingénient pas à doser, si je puis dire, les attributions de la royauté et de la nation. C’est la nation qu’ils ont en vue. C’est à elle qu’ils veulent assurer un droit plein : à tous les citoyens un fusil, à tous les citoyens le droit de vote ; et qu’aucun veto, prohibitif ou simplement suspensif, ne limite la souveraineté du peuple représenté par ses délégués.

Quant à la royauté, elle retiendra tout le pouvoir compatible avec l’exercice entier du droit démocratique : elle sera la gardienne, l’exécutrice de la volonté nationale ; et le poids, malgré tout subsistant, de son privilège historique, n’aura d’autre effet que de prévenir l’envahissement du pouvoir central par les factions étourdies ou par les usurpateurs populaires.

Il sembla un moment que le génie de Mirabeau, cherchant à concilier la plénitude de l’action royale et la plénitude du droit populaire, planait au-dessus des partis. Il espérait, par la largeur de son vol rapide et circulaire, enfermer, pour ainsi dire, tout l’espace et lier les extrémités contraires de l’horizon. L’aigle inquiétant et solitaire qui portait si haut, vers le soleil et vers la gloire, ses ambitions et ses misères, tomba en un jour, frappé par la