Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/85

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aussi de raffermir l’administration pour assurer partout la libre circulation des grains, elle pouvait fort bien, croyant ne consolider que l’ordre public, renforcer à l’excès le pouvoir de Louis XVI, au moment où celui-ci négociait avec l’étranger pour imposer à la France tout au moins une Constitution aristocratique avec une Chambre haute où la puissance héréditaire de la noblesse aurait soutenu la puissance héréditaire du roi.

La reine, dans une lettre du 7 décembre, confie à Fersen qu’elle se prend à espérer dans la Législative : « Notre position est un peu meilleure et il semble que tout ce qui s’appelle constitutionnel se rallie pour faire une grande force contre les républicains et les Jacobins : ils ont rangé une grande partie de la garde pour eux, surtout la garde soldée, qui sera organisée et enrégimentée sous peu de jours. Ils sont dans les meilleures dispositions et brûlent de faire un massacre des Jacobins. Ceux-ci font toutes les atrocités dont ils sont capables, mais ils n’ont dans ce moment que les brigands et les scélérats pour eux ; je dis dans ce moment, car d’un jour à l’autre tout change dans ce pays-ci et on ne s’y reconnaît plus. »

Brissot, qui avait déjà senti la force presque écrasante des modérés dans l’assemblée électorale de Paris où il n’avait été élu qu’à grand’peine, ne se faisait pas d’illusion sur la Législative. Il savait bien qu’il serait besoin d’une terrible secousse pour la hausser de nouveau à l’énergie révolutionnaire. Seule une éruption violente de lave pouvait soulever l’énorme amas d’intérêts mélangés, intérêts anciens et intérêts nouveaux, qui obstruait le cratère de la Révolution : et quelle autre flamme que celle du patriotisme surchauffé par la guerre pourrait faire jaillir de nouveau la force populaire, attiédie et comme figée ? Quelle autre force que la terreur de ce spectacle effrayant et grandiose pourrait mater les modérés ?

Quant aux ministres, ils n’étaient, au moment où commençaient les débats de la Législative, ni une garantie pour la Révolution ni une force pour le roi. On se souvient que la plupart d’entre eux étaient entrés en fonctions depuis un an, après le départ de Necker. Le ministère était formé d’éléments assez variés, mais également médiocres. Les plus honnêtes d’entre eux, comme le garde des sceaux Duport-Dutertre, s’étaient laissé surprendre par les événements de Varennes. Il est à peine croyable qu’aucun indice ne leur ait révélé tout le plan de conspiration et de fuite de la famille royale. Il n’y eut probablement pas trahison, mais faiblesse, incapacité, je ne sais quelle habitude paresseuse de sentir autour de soi une intrigue de cour et de ne point faire effort pour la démêler.

Le ministre des affaires étrangères, Montmorin, avait un rôle particulièrement ambigu. Il avait ménagé la gauche de l’Assemblée constituante, et il était en fonction depuis la fin de 1789. Il était le seul du ministère Necker qui fût resté à son poste, après la disgrâce du grand homme. Il servait d’intermédiaire officieux entre la Constituante et la Cour.