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révolutionnaire, de mettre à l’épreuve le roi et de le soumettre enfin à la Révolution ou de le renverser.

La guerre agrandissait le théâtre de l’action, de la liberté et de la gloire. Elle obligeait les traîtres à se découvrir, et les intrigues obscures étaient abolies comme une fourmilière noyée par l’ouragan.

La guerre permettait aux partis du mouvement d’entraîner les modérés, de les violenter au besoin ; car leur tiédeur pour la Révolution serait dénoncée comme une trahison envers la patrie elle-même.

La guerre enfin, par l’émotion de l’inconnu et du danger, par la surexcitation de la fierté nationale, ravivait l’énergie du peuple. Il n’était plus possible de le conduire directement par les seules voies de la politique intérieure à l’assaut du pouvoir royal. Une sorte de cauchemar d’impuissance semblait peser sur la Révolution. Quoi ! Ni au 14 juillet, ni au 6 octobre, ni même après Varennes, nous n’avons pu ou renverser ou subordonner le roi ! Bien mieux, à chacun des combats qu’elle soutient, à chacune même des fautes qu’elle commet, la royauté semble grandir en force ; et à l’heure où c’est le roi qui devrait être châtié, il n’y a que les démocrates qui soient poursuivis ! Pour rompre ce charme séculaire de la royauté, il faut qu’elle s’abandonne enfin à la Révolution ou que par la trahison flagrante contre la patrie, elle suscite contre elle la colère des citoyens déjà enfiévrés par la lutte contre l’étranger.

Ainsi la Gironde voulait faire de la guerre une formidable manœuvre de politique intérieure. Terrible responsabilité ! Quand nous pensons aux épreuves inouïes que la France va subir, quand nous songeons que cette surexcitation d’un moment sera payée par vingt années de césarisme sanglant et qu’ensuite de 1815 à 1848, on peut dire de 1815 à 1870, la France aura moins de liberté qu’elle n’en avait sous la Constitution de 1791, quand on songe que la propagande armée des principes révolutionnaires a surexcité contre nous le sentiment national des peuples et créé le formidable état militaire sous lequel plient les nations, on se demande si la Gironde avait le droit de jouer cette extraordinaire partie de dés.

La guerre n’était pas voulue par les souverains étrangers, et il semble que si le parti démocratique avait été uni, vigilant, prudent, s’il avait lutté contre les ministres suspects, s’il avait peu à peu imposé au roi des ministres patriotes, s’il avait travaillé sans relâche à propager les idées de la démocratie, s’il avait au besoin déclaré ouvertement la guerre à la royauté, il aurait pu consommer la Révolution sans la jeter dans les aventures extérieures. Mais ce qui faisait la force de la politique girondine, c’est qu’en 1791 et 1792 elle apparaissait comme le seul moyen d’action ; la fatigue intérieure de la nation obligeait les partis du mouvement à chercher des ressorts nouveaux. Michelet a dit, à propos de la guerre, que l’Océan de la Révolution débordait et que les Girondins venaient, portés sur la crête de ses vagues. Non, l’Océan