Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/96

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C’était une manifestation assez vaine, car on savait bien que Monsieur ne rentrerait pas ; et que lui importait d’être dépouillé de la régence par une assemblée révolutionnaire qu’il se promettait de briser ? Mais la Législative voulait paraître agir.

Le 8 novembre, un modéré, Ducastel, proposa au nom du Comité un projet de décret contre tous les émigrés :

« L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation civile et criminelle, considérant que l’intérêt sacré de la patrie rappelle tous les Français fugitifs ; que la loi leur assure une protection entière ; que néanmoins la plupart se rassemblent sous des chefs, ennemis de la Constitution ; qu’ils sont suspects de conspiration contre l’Empire et que la générosité nationale peut leur accorder encore le temps de se repentir ; mais que s’ils ne se divisent pas dans ce délai, ils décèleront leurs criminels projets en demeurant rassemblés ; qu’alors ils seront des conjurés manifestes ; qu’ils devront être poursuivis et punis comme tels, et que déjà la tranquillité publique exige des mesures rigoureuses, décrète ce qui suit :

« ARTICLE PREMIER : Les Français rassemblés au delà des frontières du royaume sont, dès ce moment, déclarés suspects de conjuration contre la patrie. »

Cet article fut décrété à l’unanimité : le difficile en effet n’était pas de faire une déclaration générale et vague, le difficile était d’organiser des sanctions efficaces, et les incertitudes se manifestèrent dès l’article 2 :

« Si, au 1er janvier 1792, ils sont encore en ce moment en état de rassemblement, ils seront déclarés coupables de conjuration et ils seront poursuivis comme tels et punis de mort. »

La phrase était terrible. Mais comment démontrer d’une façon juridique et certaine qu’il y avait en effet « rassemblement » et que tel individu déterminé participait au rassemblement ? Couthon signale la difficulté avec brièveté et avec force :

« Le rassemblement est un crime, point de doute à cet égard ; mais, Messieurs, le grand embarras c’est d’établir le fait qui constitue le rassemblement. Pouvez-vous le faire par la voie ordinaire de l’information ? Vous n’aurez d’autres témoins que les Français en fuite eux-mêmes, et vous savez quel cas on pourrait faire de leur témoignage. » (Murmures.)

Couthon propose donc de substituer à la preuve proprement dite une présomption légale et il soumet à l’Assemblée le projet suivant ;

« Seront réputés en état de rassemblement jusqu’à la preuve du contraire et seront poursuivis et punis comme conspirateurs ceux des Français qui, sans cause légitime justifiée, resteraient hors du royaume et n’y rentreraient pas avant le 1er janvier 1792. »

Une partie de l’Assemblée murmura. Mais, dès lors la doctrine du salut public commence à s’affirmer avec force. Le député Gorguereau déclara :