Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/102

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énergiquement prononcé. Connus et commentés plus tôt, ils n’auraient sans doute pas changé le sens général des élections, mais ils auraient peut-être, en plus d’un point, jeté un grand trouble et amorti d’un poids secret de réaction et d’inquiétude l’élan révolutionnaire et national.

Il s’en faut que le parti de la Révolution l’ait emporté partout sans difficulté et sans résistance. Je viens de noter d’après Chassin la dangereuse tactique des contre-révolutionnaires de Vendée. À Rouen, la concentration des forces d’ancien régime et de la haute bourgeoisie industrielle, feuillantine et modérée, semblait redoutable. Je lis, par exemple, dans le Patriote français du 3 septembre, cette curieuse lettre de Rouen :

« J’ai le plaisir de vous annoncer que la paix est dans nos murs, mais pas pour longtemps ; les Feuillantins de la Cour abondent ici en foule et sont appuyés par tous les corps constitués ; les Jacobins y sont indignement traités ; les portefaix, les domestiques des seigneurs, les chevaliers du poignard doivent voter aux assemblées primaires et en écarter tous les patriotes. Les ouvriers de nos manufactures ont reçu des étrennes ad hoc et sont menacés d’être sans ouvrage s’ils ne nomment pas ceux que nos négociants leur désigneront. Des départementaires (membres de l’administration du département) et gens de loi battent les campagnes pour accaparer les suffrages, disent mille horreurs de l’Assemblée nationale. Le Havre, Dieppe, Caudebec sont dans les mêmes principes que Rouen. »

C’était une alarme excessive, car aucun des candidats redoutés par le correspondant de Brissot ne fut élu, et les « patriotes » l’emportèrent. Mais il est certain que dans la nation appelée pour la première fois au suffrage universel et dans le peuple même il y avait bien des éléments de réaction, et l’influence combinée des hommes d’ancien régime et de la grande bourgeoisie modérée aurait pu entraîner même une partie du prolétariat ignorant et misérable.

À Montauban, ce n’est pas sans lutte que les démocrates, les révolutionnaires l’emportent. Jean-Bon Saint-André, l’âpre et souple pasteur protestant dont M. Lévy-Schneider a fouillé l’œuvre et la vie en un livre tout à fait remarquable, avait groupé autour de lui les éléments révolutionnaires. La riche bourgeoisie calviniste avait d’abord adhéré pleinement à la Révolution. Comme toute la bourgeoisie industrielle et possédante, elle y trouvait une garantie de développement. Et en outre, c’était pour elle la sécurité de la foi, l’autonomie de la conscience enfin conquise. À Montauban surtout, la violence du fanatisme catholique aviva, dans l’année 1790 et une partie de l’année 1791, les sentiments révolutionnaires de la bourgeoisie. Mais quand elle fut enfin assurée de la liberté, quand la puissance oppressive de l’Église catholique lui parut définitivement ruinée, elle désira le repos dans la Constitution de 1791, et elle s’inquiéta de l’ébranlement républicain qui suivit la fuite de Varennes ; elle s’inquiéta des revendications démocratiques du peuple