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LA CONVENTION NATIONALE

LE PROLOGUE

Du 10 Août au 21 Septembre

J’ai montré, en terminant l’histoire de la Législative, que dès le lendemain du Dix Août tous les partis songent à s’emparer du mouvement révolutionnaire, et à s’assurer la plus grande influence possible sur la Convention prochaine. La Commune de Paris avait un grand pouvoir. Elle voulait le continuer et l’étendre. C’est elle qui, le Dix Août, avait pris les responsabilités décisives et remporté la victoire. Tandis que la Législative hésitait, elle avait préparé et donné l’assaut. Elle était donc à ce moment, la force décisive de la Révolution ; elle prétendait être la Révolution elle-même. C’était, disait-elle, en vertu d’une sorte de tolérance et par sagesse politique, pour ne pas créer un intervalle entre la Législative et la Convention, qu’elle avait laissé subsister la Législative. Mais celle-ci n’avait en ces suprêmes journées qu’un pouvoir d’emprunt.

C’est le peuple de Paris qui l’avait investie à nouveau ; c’est la Commune révolutionnaire qui l’avait, pour ainsi dire, déléguée au gouvernement provisoire de la France, mais sous le contrôle de la Commune elle-même. Les Jacobins, où se réunissaient les délégués des sections, avaient adopté la thèse de la Commune. Ils étaient à peu près d’accord avec elle. De peur d’être envahis, au lendemain de la victoire du 10 août, par des patriotes tièdes ralliés tardivement au succès, ils avaient suspendu toute adhésion nouvelle ; ils restaient ainsi la pointe non émoussée de la Révolution. Le député Anthoine disait aux Jacobins le 12 août :

« Le peuple a repris sa souveraineté… et la souveraineté une fois reprise par le peuple, il ne reste plus aucune autorité que celle des assemblées primaires ; l’Assemblée nationale elle-même ne continue à exercer quelque autorité qu’à raison de la confiance que lui accorde le peuple, qui a senti la nécessité de conserver un point de ralliement et qui en cela a prouvé combien sa judiciaire était bonne. »

Ainsi, l’autorité finissante de la Législative était une autorité subordonnée. Mais la Commune limiterait-elle son pouvoir à Paris ? Cela eût été contradictoire ; car si, en attendant la Convention nationale, la Révolution est dans la Commune, la Commune doit, comme la Révolution, rayonner sur toute la France. Dès le soir du 10 août, Robespierre, calculateur profond, comprit que l’ascendant de la Commune révolutionnaire allait être immense ; et il s’appliqua à en étendre encore le pouvoir. Il éprouvait sans doute une âpre jouissance d’orgueil à humilier l’Assemblée législative, où dominaient