Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/117

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quelque utilité à la Convention, et nous le disons encore ; mais nous n’avons pas dit qu’elle serait mauvaise en l’absence de Marat, et qu’il ne pense pas en être l’aigle. »

Le journal de Prudhomme, très attentif à ménager les opinions les plus ardentes, n’aurait point tenu ce langage, dans le numéro même où il fait l’apologie des massacres de septembre (no du 1er au 8), si Marat avait été le dieu du peuple. Mais plus significatif encore est le plaidoyer prononcé en faveur de Marat à la Société des Jacobins, le 7 septembre, par le capucin défroqué Chabot, devenu le gros bouffon des faubourgs, en attendant qu’il épouse, lui aussi, « l’Autrichienne », la fille richement dotée d’un aventurier de finance venu de Vienne. On verra dans ses paroles à quelle résistance se heurtait la candidature de Marat et dans quelle pensée, à demi dédaigneuse, les électeurs parisiens le nommèrent.

« Je suis encore monté à la tribune pour vous parler des candidats, ou plutôt d’un seul candidat : je parle de Marat. J’en ai déjà parlé à plusieurs personnes qui m’ont levé les épaules à ce seul nom. Eh bien ! je déclare, moi, que je lui donnerai ma voix. À ces personnes qui n’ont pas grande foi en ses talents, je réponds qu’il a eu du courage et un courage peu commun, celui de se montrer toujours le même depuis le commencement de la Révolution. Mais ce n’est pas cette classe d’hommes qu’il faut convertir à Marat : c’est la classe des hommes qui disent qu’il est un incendiaire. Je dis que c’est précisément parce qu’il est incendiaire qu’il faut le nommer. En Angleterre, toutes les fois qu’un membre de la commune se montre forcément incendiaire contre le parti ministériel, la Cour cherche à se l’attacher en l’achetant, et bientôt, il devient constitutionnel. Ce que la Cour fait en Angleterre par la corruption, nous devons le faire en France pour le bien public.

«…Il a la tête chaude dans le même sens que je l’ai, c’est-à-dire que c’est le cœur qu’il a chaud, car les modérés sont sujets à se méprendre à cette différence, et je vous réponds que c’est une des têtes les plus froides qui existent. On a reproché à Marat d’avoir été sanguinaire, d’avoir, par exemple, contribué peut-être au massacre qui vient d’être fait dans les prisons ; mais, en cela, il était dans le sens de la Révolution, car il n’était pas naturel, pendant que les plus vaillants patriotes s’en allaient aux frontières, de rester ici exposés aux coups des prisonniers à qui on promettait des armes et la liberté pour nous assassiner.

« On dit qu’il a été sanguinaire parce qu’il a demandé plus d’une fois le sang des aristocrates, le sang des membres corrompus de l’Assemblée constituante. Mais il est connu que le plan des aristocrates a toujours été et est encore de faire un carnage de tous les sans-culottes. Or, comme le nombre de ceux-ci est à celui des aristocrates comme quatre-vingt-dix-neuf est à un, il est clair que celui qui demande que l’on tue un pour éviter qu’on ne tue quatre-vingt-dix-neuf n’est pas un sanguinaire.