Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/131

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pour traîtres à la patrie, des hommes pervers, l’écume de l’Assemblée constituante et de l’Assemblée actuelle. Qui croirait qu’au nombre des députés se trouvent des Malouet, des Rabaut, des Thouret, des Target, des Pastoret, des Condorcet, des Dumolard, des Du Castel, des Vergniaud, des Guadet, des Lacroix, des Brissot ? (Marat se trompait pour plusieurs de ceux-là, pour Malouet, Thouret, Target, Pastoret, Dumolard, qui ne furent pas élus.)

« Français, qu’attendez-vous d’hommes de cette trempe ? Ils achèveront de tout perdre, si le petit nombre de défenseurs du peuple appelés à les combattre n’ont le dessus et ne parviennent à les écraser. Si vous ne les environnez d’un nombreux auditoire, si vous ne les dépouillez du talisman funeste, l’inviolabilité, si vous ne les livrez au glaive de la justice populaire dès l’instant qu’ils viendront à manquer à leurs devoirs, abuser de votre confiance et trahir la patrie, c’en est fait de vous pour toujours. Gardez-vous de placer la Convention nationale dans l’air pestiféré du Manège des Tuileries. Préparez-lui un local assez vaste pour recevoir trois mille citoyens dans les tribunes, parfaitement à découvert, et absolument sans gardes, de manière que les députés soient sans cesse sous la main du peuple et n’ayant jamais d’autre sauvegarde que leur civisme et leur vertu. Sans cela, c’est en vain que vous aurez mis vos dernières espérances dans la Convention nationale. Les traîtres qui ont appelé les ennemis de la liberté, retranchés dans leur antre sous le canon des contre-révolutionnaires, insulteraient au peuple en trahissant ses droits, et continueraient, comme leurs prédécesseurs, à traiter de brigands les patriotes indignés qui s’efforceraient de les rappeler au devoir. »

Ainsi Marat proclame que la majorité de la Convention est « brissotine », et il n’attend plus le salut de la Révolution que de la force du peuple faisant violence à la Convention. En demandant que celle-ci soit sans gardes, pour être toujours sous la main du peuple, il fournit à la Gironde le prétexte dont elle a besoin pour appeler à Paris une garde départementale. La Gironde aurait pu dédaigner ces colères alors tout à fait impuissantes. Mais elle aussi avait formé le dessein funeste d’écraser ses rivaux. Erreur mortelle ! car ce n’est point pour cela que la France l’avait nommée. Entre la France et la Gironde il y avait un malentendu. La France n’avait pas donné sa confiance à la Gironde, mais à la Révolution dont la Gironde lui apparaissait alors comme la gardienne.

À mesure que les Girondins découvriront plus nettement leur passion de domination exclusive, une sorte de stupeur attristée se produira chez ceux-là mêmes qui les ont élus. Mais les Girondins, étourdis et grisés, affolés de haine contre Robespierre, exaspérés contre Paris qui les avait rejetés, convaincus d’ailleurs qu’ils entraîneraient aisément à leur suite toute la France départementale, formèrent le plan d’en finir avec leurs ennemis. S’ils avaient eu plus de largeur d’esprit et de cœur, s’ils avaient laissé tomber, sans en