Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/138

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que, de son propre aveu, Rebecqui et lui, faiseurs d’élections, étaient les duumvirs de la Provence ? Qu’aurait-il répondu si on lui eût dit que lui, personnellement, acceptant le pouvoir exécutif que lui donnait l’acte illégal de l’assemblée électorale, choisissant lui-même ceux qui devaient l’assister, puis, malgré toutes les précautions et atténuations, délivrant à chaque membre du corps électoral un pouvoir irrégulier et arbitraire, jouait déjà le rôle d’un dictateur du Midi ? Mais il était bien clair que la Convention nationale prochaine, par son autorité morale immense, par la seule force de son action, ramènerait peu à peu sous la loi toutes ces forces vaillantes et bonnes mais déréglées. Elle y ramènerait, sans vaine provocation, et sans polémique irritante, la commune de Paris et les communes provençales, à la seule condition d’être énergique et unie. Mais les partis la déchiraient d’avance ; et cinq jours après les élections des Bouches-du-Rhône, Barbaroux quittant à peine sa dictature du Midi, va fomenter à Paris les plus violentes accusations contre la dictature de Robespierre. Ô égoïsme des partis Ô mortel enfantillage !

La Gironde à l’affût grossit toutes les rumeurs inquiétantes au lieu de les dissiper par la force tranquille de la raison. Quelle apparence y avait-il que les « massacreurs » songeassent à égorger la Convention le jour de sa première séance ? Même l’article de Marat que j’ai cité ne demandait au peuple que de la tenir en surveillance et de la juger sur ses actes. Quelle apparence aussi que le peuple s’acharne sur les restes de la Législative ? Or le Patriote Français du 15 septembre publie ceci :

« La faction farouche, qui manie le poignard de la vengeance aussi bien que le stylet de la calomnie, qui veut conquérir par la terreur la domination qu’elle ne peut obtenir par des services et des talents ; qui veut établir un triumvirat proscripteur sur les ruines de toutes les autorités, pense, dit-on, à effrayer la Convention nationale, en signalant par un grand massacre les premiers moments de son existence. On assure qu’elle médite l’assassinat de tous les membres de la Législative qui ne seront pas élus à la Convention. » C’était vraiment un système de calomnies atroces contre Paris ; et Pétion, sourdement complice de la Gironde, aggrave pour ainsi dire ces rumeurs par sa façon ambiguë de les combattre :

« Citoyens, le moment où nous avons le plus besoin de calme est celui où nous sommes le plus agités. On veut, à quelque prix que ce soit, nous diviser, nous mettre aux prises les uns avec les autres. On sème la défiance, on distille le poison de la calomnie ; on inquiète, on tourmente les citoyens par les bruits les plus alarmants. On annonce à l’avance des événements affreux afin d’en faire susciter l’idée et de provoquer au crime. Cet état d’agitation et d’anxiété devient insupportable… Qui de vous n’a pas entendu désigner le 20 de ce mois comme un jour de vengeance et de sang ? Ce bruit ne s’est pas concentré dans nos murs ; il a retenti au loin. Quel peut donc être