rent qu’ils ne reconnaissent que la propriété industrielle, et que la nation s’est trompée, ainsi que toutes les autres, quand elle a reconnu et garanti une propriété territoriale. C’est nous dire positivement qu’embrassant les songes de quelques rêveurs, ils veulent dégrader les hommes en les abaissant à l’état de brutes et rendre la terre commune entre eux.
« Je pourrais les presser sur ce principe, en disant qu’il n’est pas absolument vrai que la terre soit commune aux brutes, que chacune a une espèce de propriété territoriale ; que l’espace qu’elle a choisi et préparé pour s’y reposer lui appartient et qu’elle a droit de le défendre. Je pourrais ajouter que les peuplades sauvages ont aussi leur espèce de propriété territoriale, et que chacune a pour ses chasses un terrain déterminé d’où elle exclut toutes les autres. Mais ce n’est pas ici le lieu de développer et de suivre ces idées ; je me propose de le faire ailleurs, et je passe à notre état de civilisation.
« Ces prétendus souverains qui nous annoncent des lois toutes nouvelles veulent bien nous accorder la propriété industrielle, mais la propriété territoriale n’est-elle pas également fondée sur notre industrie ? Quoi ! un arbre que j’aurai arraché pour en faire un pieu, une flèche ou un bâton m’appartiendra parce qu’il ne tient plus à la terre, et celui que j’aurai tiré d’un lieu, que j’aurai déraciné avec soin et replanté dans un autre lieu, que j’aurai façonné, taillé, fumé par mon industrie ne m’appartiendra pas parce qu’il tient à la terre ? Quoi ! la cabane ou la maison que j’ai construite et le terrain qu’elle couvre ne sont pas à moi, parce que les pieux et les pierres qui les soutiennent touchent à la terre ? Toutes ces choses sont à moi dans l’état animal, si je puis les défendre ; elles sont également à moi dans l’état social et plus sûrement, en vertu de la garantie réciproque de toute espèce de propriété.
« Mais à quel but peuvent tendre ces audacieux novateurs, en parlant d’un pareil principe ? Veulent-ils le partage de tout le territoire de la France en portions égales, dont chacune serait donnée à chaque chef de famille ? Alors chacun de ces chefs aurait la propriété de sa portion, elle lui serait garantie par tous les autres, et il y aurait une propriété territoriale toute pareille à celle qui existe aujourd’hui ; ainsi nos prétendus législateurs n’auraient avancé un faux principe que pour troubler l’ordre actuel en violant la propriété territoriale établie et en recréer une du même genre.
« Examinons maintenant quel peut être le partage que ces novateurs semblent projeter. Il est facile à une colonie qui prend possession d’un territoire déterminé, de le répartir aux chefs de famille en portions à peu près égales. Il est possible qu’un législateur qui donne des lois nouvelles à un petit peuple, institue cette répartition en même temps que les lois. Lycurgue l’a fait en Laconie. Quelques philosophes grecs, et entre autres Platon, grand philosophe en morale, poète et rêveur en politique, adoptèrent ce partage égal des propriétés territoriales, et voulurent en faire une règle, absolue.